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LÀ
FIGURE DE PROUE
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Eugène Fasquelle, éditeur, 11, rue de Grenelle, Paris.
DU MÊME AUTEUR
DANS LA BIBLIOTHÈQUE-CHARPENTIER A 3 FR. 50 LE VOLUME
Occident. Ferveur . Horizons,
»
1 vol. 1 vol. 1 vol.
Il a été tiré de cet ouvrage 5 exemplaires numérotés sur 23apier du Japon
LUCIE DELARUE-MARDRUS
LÀ
FIGURE DE PROUE
I
PARIS BIBLIOTHÈQUE- CHARPENTIER
EUGÈNE FASQUELLE, E'DITEUR 11, RUE DE GRENELLE, 11
1908 ^.^''^TiÏÏwsîîîr^
Tois droits réservés / mrs, i^tsti iry* a.
( BIBUOTHcCA
LA FIGURE DE PROUE
La figure de proue allongée à Vètrave^ Vers les quatre infinis^ le visage en avant S'élance ; et^ magnifique^ enorgueilli de vent^ Le bateau tout entier la suit comme iin esclave.
Ses yeux ont la couleur du large doux-amer, Mille relents salins ont gonflé ses narines, Sa poitrine a humé mille brises marines, Et sa bouche entf ouverte a bu toute la mer.
Lors de son premier choc contre la vague ronde, Quand, neuve, elle quitta le premier de ses ports, Elle mit, pour voler, toutes voiles dehors, Et ses jeunes marins criaient : « Au nord du inonde! »
— 3
LA FIGURE DE PKOUE
Ce jour la mariait^ vierge^ avec l Inconnu. Le hasard^ désormais^ la guette à chaque rive, Car, sur laproue aiguë où son destin la rive, Qui sait quels océans laveront son front nu?
Elle naviguera dans l' oubli des tempêtes Sitr r argent des minuits et sur Tor des midis. Et ses yeux pleureront les havres arrondis Quand les lames f attaqueront comme des bêtes.
Elle saura tous les aspects, tons les climats,
La chaleur et le froid, r Equateur et les pôles ;
Elle rapportera sur ses frêles épaules
Le monde, et tous les ciels aux pointes de ses mats.
Et toujours, face au large ou neigent des mouettes. Dans la sécurité comme dans le péril. Seule, elle nfienera son vaisseau vers Vexil Oit s en vont à jamais les désirs des poètes;
Seule, elle affrontera les assauts furibonds De r ennemie énigmatique et ses grands calmes; Seule, à son front, elle ceindra, telles des palmes. Les souvenirs de tant de sommeils et de bonds.
— -t —
LA FKiURE DE PROUE
Et quand ^ ayant blessé les flots de son sillage^ Le chef coiffé de goémons^ sauvagement^ Elle s'en reviendra comme vers un aimant A son port, le col ceint des perles du voyage,
Parmi toutes les mers qui baignent les pays, Le mirage profond de sa face effarée Aura divinement repeuplé la marée D'une ultime sirène aux regards inouïs.
... J'ai voulu le destin des figures de proue Qui tôt quittent le port et qui reviennent tard. Je suis jalouse du retour et du départ Et des coraux mouillés dont leur gorge se noue.
J'affronterai les mornes gris, les brûlants bleus
De la mer figurée et de la mer réelle,
Puisque, du fond du risque, on s'en revient plus belle,
Rapportant un visage ardent et fabuleux.
— b —
LA FIGURE DE PROUE
Je se?'ai celle-là, de son vaisseau suivie , Qui lève haut un front des houles baptisé, Et dont le cœ?i?\ jusquà la mort inapaisé, Traverse bravement le voyage et la vie.
G -
PREMIER ISLAM
AUX QUITTÉS
Je m'en irai bien loin des villes où vous êtes, Sans au revoir et sans adieu. Je m'en irai Hors de vos glas européens et de vos fêtes, Ouvrir ailleurs mes yeux de Pharaon doré.
L'Afrique chaude oîi l'air a le goût des bananes Ou des dattes, me tend ses sables éblouis. J'aimerai ce pays qui n'est pas mon pays, Je le posséderai dans des mains musulmanes.
Je ferai ruisseler entre dix ongles roux La pourpre de son cœur qui bat dans les sanguines, Je m'envelopperai des blancheurs bédouines Pour n'inquiéter pas sa gazelle aux yeux doux.
— 9 —
LA FIGURE DE PROUE
Pour être son petit cavalier fier et fourbe Ivre de violence au vol des étalons, J'enjamberai les bonds d'un cheval au col courbe Qui porte un talisman -parmi ses cheveux longs.
Elle me livrera des villes de chaux pâle Où je viendrai m'asseoir au cœur du contretemps Des tambours, dans l'odeur d'encensoirs excitants, Et son parler fera ma bouche gutturale.
J'étreindrai ses moissons, son Sahara, ses eaux, Ses cités, et j'aurai sa fleur à mon oreille. Et chaque soir tombant me verra moins pareille A vous, sang de mon sang, substance de mes os!
Quel souvenir pourrait traverser mon Afrique ? Je ne vous connais pas, je ne vous aime pas, Je n'ai rien su de vous que d'amer ou de bas; Vous avez offensé mon cœur mélancolique.
— Quel souvenir sinon le regret plein d'amour,
A travers l'éternel soleil sans espérance,
De sentir vivre en moi, comme un sous bois de France,
Un seul rond de lumière et toute Tombre autour?...
10 —
PRIERE MARINE
A travers des chemins nuptiaux d'orangers, Je suis venue à toi, mer Méditerranée, Et me voici debout, face à face, étonnée D'ouvrir sur ta splendeur mes regards étrangers.
Ce soir, ce premier soir, t'es-tu faite si pâle Pour ne pas m'ofl'enser de tes bleus inouïs. Toi qui n'es pas l'horizon gris de mon pays. Mer éternellement, rythmiquement étale?
Je tremble de venir à toi, de t'apporter Toute mon âme où crie et chante l'Innommable, Quoique fillé d'ailleurs, voudras-tu m'adopter, M'enseigner le secret de tes eaux sur ton sable?
— H —
LA FIGURE DE PROUE
Ah ! berce-moi, beau flot qui ne me connais point, Moi qui suis veuve de ma mer et de ma terre, Moi qui t'aime déjà, moi qui viens de si loin, Moi qui voudrais commettre avec toi l'adultère !
CONFRONTATION
A travers la douceur de tes jeunes jardins, Je m'avance vers loi, Tunis, ville étrangère.
Je te vois du haut des gradins De ta colline d'herbe et de palmes légères.
Tu es si blanche, au bord de ton lac, devant moi ! Je m'étonne du bleu de ton ciel sans fumées, J'imagine, à te voir, des heures parfumées D'encens, de rose sèche et de précieux bois*
Avant toi, j'ai connu d'autres villes du monde, Villes d'Europe avec la lance dans le flanc. Villes du Nord, villes qui grondent Et qui ne savent rien de ton chaud manteau blanc.
-- 13 —
LA FIGURE DE PROCE
Avant toi, j'ai connu ma ville capitale:
Elle éparpille à tous son sourire éblouissant ;
Mais, noire sur son fleuve pâle, Quel secret filtre, au soir, de ses soleils de sang!
Avant toi, j'ai connu ma ville de naissance, '
Ma petite ville si loin,
Dans sa saumure et dans son foin. Qui sent la barque et les grands prés, qui sent l'absence.
Maintenant, devant toi, blanche et couchée au bord De ton iac, ô cité du milieu de ma vie,
Je pense avec peur, sans envie, Qu'existe quelque part la ville de ma mort.
Et c'est rêvant ainsi sous les palmes légères
De ta colline aux verts gradins. Que je descends vers toi, Tunis, ville étrangère, A travers la douceur de tes jeunes jardins.
— 14 —
CIMETIÈRES
Le cimetière, avec sa flore d'abandon Et le silence heureux de la mort musulmane, S'ouvre parmi l'odeur d'épices qui émane De la belle Tunis, la ville d'amidon.
Ils ont clos pour jamais leurs yeux mélancoliques, — Néant si simple sous la mousse ou les épis! — Tous ceux-là qui vivaient en rêvant, accroupis Dans les plis éternels de leurs manteaux bibliques.
Sur leur vie et leur mort, un immuable été. Plane, faisant du tout une seule momie... Je veux vivre comme eux et mourir, endormie Dans le grand linceul blanc de la fatalité.
II
Je hantais les jardins de la mort étrangère, A travers les printemps royalement fanés D'Orient. Les grillons étaient passionnés, Et les herbes pliaient sous mon ombre légère.
Sous les hargneux cactus et mimosas défunts, Rousse, la mousse, au long des pierres funérales. Nulle fleur sur ces morts ne couve de parfums Dont rafraîchir un peu leurs âmes gutturales.
Moi, je regarde, avec l'Europe dans les yeux. L'indifférent repos de cet Islam en cendre, Sachant bien que je puis les aimer et comprendre. Mais que je ne serai jamais semblable à eux.
16 —
PREMIER ISLAM
Car mon sang est chargé de nos métaphysiques, Et nos raisonnements sont au fond de mes os. Je suis, seule en ce lieu sans verdure et sans eaux, Nos sciences, nos arts, nos métiers, nos musiques,
Et, sentant vivre au fond de ce vieux sang chrétien Les nations de l'Ouest douloureuses et fortes. Je connais qu'un Esprit dissemblable du mien Erre dans ce jardin, monté des moelles mortes...
Dormez. Rêvez. Cuvez le liaschich de la mort. Vos spectres sont sortis des pierres par les brèches, Et ce sont ces vivants en longs plis, aux peaux sèches, Accroupis au soleil sur leur race qui dort.
— 17
EGYPTIENNE
Dans le luth, dans les coups de la darabouka, Dans le chalumeau peint, criard et ineffable Rythmant à contretemps tout le pays arabe, Revit pour moi la mémoire de Wassila,
De sa face d 'Egypte inspirée et foncée, Qui véhémentement se détournait de nous, Lorsque, le cœur battant, les paupières baissf'os. Elle-même souffrait de son chant rauque et doux.
Contre son luth profond, la revoir comme morte D'avoir trop sangloté ce monotone amour Qui passait dans mon âme étrangère, plus sourd, Plus triste et plus obscur que lèvent dans les portes
— 18 —
PREMIER ISLAM
J'avais sans le savoir un peu de passion
Pour ton profil à cheveux courts de Pharaon,
Ton sombre contralto, tes lèvres violettes...
Et maintenant, ton visage lointain, ton nom.
Ta voix, sont sur mon cœur comme des amulettes.
— 19 -
ERREMENT
Ayant à la tempe une fleur d'asphodèle Et Fantiquité au fond de mon esprit, Je rôde le long de la mer immortelle Dont, nue au soleil, la déesse naquit.
Je plonge mes mains dans la vague latine Toute creuse encor d'avoir conçu des dieux. Et regarde au loin les eaux boire les cieux Afin d'en nourrir leur couleur intestine.
Je vais seule ainsi, tremblante sur le bord, Redoutant, au cœur d'algues ébouriff'ées, De rencontrer, un soir d'orage, le trésor De la tête charmante et terrible d'Orphée...
âo
TEMPETE
Toi si douce, si bleue au bout de tout chemin, Vler, tu n'es plus ce soir qu'une ombre qui déferle Dans l'orage couleur de perle.
J'entends au loin crier, la bouche à leurs deux mains, Les millions surgis de sirènes mêlées De tes vagues échevelées.
Veux-tu de moi? j'irai jusqu'à toi, cette nuit. Tes passions avec leurs dégâts et leur bruit Ne grondent pas plus que les miennes.
— 21
LA FIGURE DE PROUl
J'irai! Ce souffle rauque est celui qu'il me faut, Et vous vous souviendrez des râles de Sapho, Fureurs méditerranéennes !
22 —
LIBATION
es coquilles qui ont la courbure des vagues onservent les couleurs de l'aube et du couchant ans leur intimité qui luit comme une bague, t la mer tout entière y a laissé son chant.
'est pourquoi je prendrai dans mes mains Tune d'elles,
t, remplissant ce soir cette coupe à la mer,
en ferai déborder le contenu amer
ur le sable qui le boira, — afin que celle
ui habite le flot méditerranéen,
a sirène d'ici, connaisse mon dessein
'honorer grandement sa splendeur inconnue
it veuille m'accorder aussi la bienvenue...
23
PRINTEMPS D'ORIENT
Au printemps de lumière et de choses légères, L'Orient blond scintille et fond, gâteau de miel. Seule et lente parmi la nature étrangère, Je me sens m'effacer comme un spectre au soleil.
Je me rêve au passé, le long des terrains vagues Des berges et des ponts, par les hivers pelés, Ou par la ville, ou, les étés, le long des vagues De chez nous, sous les beaux pommiers des prés salés
Roulant le souvenir complexe de moi-même Et d'avoir promené de tout, sauf du mesquin, Je respire aujourd'hui ce printemps africain
Qui germe à tous les coins où le vent libre sème^
i
— 24 —
1MŒ311EK ISLAM
Ceux qui ne m'aiment pas ne me connaissent pas, Il leur importe peu que je meure ou je vive, Et je me sens petite au monde, si furtive !... Mais de mon propre vin je m'enivre tout bas.
Je m'aime et me connais. Je suis avec mon âge De force et de clarté, comme avec un amant. Le vent doux des jardins me flatte le visage : Je me sens immortelle, indubitablement.
- 5*:;
ORANGERS
Sous-bois d'orangers lourds des fruits de Février. Un Orient de soleil tendre et d'herbe verte. On voit au clair les rangs des sanguines briller.' Va-t-on pouvoir, la face haute et découverte, Boire à longs traits le ciel méditerranéen? Ah ! terre heureuse ! Il me souvient ! Il' me souvient î A deux mains j'ai levé la sanguine cueillie ; La goutte de sa chair sombre et rouge, jaillie De la blessure de l'écorce, un sang sucré Parmi le bleu du ciel, jusqu'à l'herbe a pleuré Si fort!... Et j'ai senti, sous mes ongles arides, Saigner entre mes doigts le cœur des Hespérides.
26 —
ENSEIGNEMENT
Aujourd'hui, sur le bord de la mer sans marée Et si claire au soleil qu'on la voit jusqu'au cœur, J'adore en mon esprit Sapho désespérée, Qui, lasse, y abîma sa joie et sa douleur.
Ecoutant jusqu'à moi gronder l'ode éternelle De l'eau bleue oii tous les tourments sont confondus, Je crois que cette mer m'apprend les chants perdus De la lyre saphique encor vivante en elle...
— 27 —
BRISE
Au soleil d'aujourd'hui, le vent qui vient déterre
Rebrousse doucement la mer et la moisson,
La Méditerranée est lourde du mystère
Des couleurs ; elle brille et vit comme un poisson,
Comme, étalée au cœur des caps, une méduse Qui se rétracte un peu sur la roche qu'elle use Et prolonge le bleu de ses bras assoupis Jusqu'au milieu de l'or terrien des épis.
— Et mitoyenne, seule et grande, tu te poses Entre les horizons mêmement ondulés. Pour, debout sur la houle identique des choses, Goûter le sel des eaux et le sucre des blés.
— 28 —
SEDUCTION
La petite beauté musulmane, parée
De ses sauvages trois colliers,
La chère enfant de dix-sept ans toute dorée,
Debout sur ses pieds sans souliers,
Elle ne connaît rien des chétives romances i Dont vivent celles-là d'Europe, avec leur cœur J Cultivé jusqu'à la ranca'ur ;
]Mais elle a deux ye»x roux entre des cils immenses
Et, sachant relever et baisser lourdement ! Ses deux paupières ^e musée,
Toute elle se revêt d'ingénuité rusée j Sitôt qu'on la regarde avec un air d'amant.
— 29
LA FIGURE DE PROLE
Elle ne pense pas. Sa beauté n'a pas d'âme. Mais on voit panteler jusqu'au fond de ses yeux Cet animal divin, la femme, Et cela vant autant qu'une âme — et même mieux.
30
SOIR DE TUNISIE
Cette lune levée au-dessus de Tavoine Brille à l'horizon comme une sardoine.
Au bout de la moisson africaine, la mer Continue au loin comme un champ plus clair.
Un palmier, verticale unique, étend ses palmes Parmi ces épis et ces vagues calmes.
Quant à nous, écoutant quelle sera la voix Des champs, de la lune et des flots qu'on voit,
Nous n'entendons, dans tout l'espace, quele verbe D'un grillon qui chante au bout d'un brin d'herbe.
— 31 --
SILLAGE
Tu es beau, tu es doux, commencement du soir,
Quand je vais sur Ja grève africaine m'asseoir,
Dans le creux d'un rocher pour longtemps installée
Comme attendant toujours qu'une dame salée,
Ma furtive, glissante et singulière sœur
Monte pour moi du fond des eaux avec douceur,
Lorsqu'il n apparaît rien qu'une dolente lune
Qui, pleurant sur la mer sa lueur opportune,
Eteint dans la froideur d'un long ruisseau d'argent
Les dernières rougeurs du soleil outrageant.
Et dit à mon espoir que, sur les vagues, traîne
Le sillage luisant et bleu de ma sirène...
32
LE BAIN
Tu sentiras ton corps rester longtemps amer De s'être trempé nu dans le sel de la mer Quand l'été flamboyant desséchait les journées,
Alors que ta blancheur verdissait doucement, Laissant passer sur elle, en un glauque tourment, La respiration des vagues alternées,
Et qu'allongée au cœur des algues, sous les eaux, !Tu sentais la fraîcheur pénétrer dans tes os Et toute la saumure émouvoir tes narines...
— 0 molle floraison des choses sous-marines! 0 vague ! 0 se rouler dans un liquide éclair Et mêler ses cheveux aux cheveux de la mer!
33
NUIT
Un champ d'orge, un beau lac au bout, La lune en croissant sur le tout, Et nous deux qui rôdons ensemble.
Gela fait un printemps de nuit,
Un orient pâle et sans bruit
Qui vaut le soleil, que t'en semble ?
Viens ! nous ne nous parlerons point. Une grenouille chante au loin, Seul accent du lac taciturne.
Il ne fait ni sombre ni clair: Veux-tu? — Comme dans une mer, Noyons-nous dans l'orge nocturne...
- 34
DANS LES JARDINS
Nous faisions d'émouvants bouquets de mariée, Sous Torientale feuillée.
Vous prenions des rameaux d'oranger, les mêlant Aux immaculés iris blancs.
Les monts harmonieux, à travers les lianes. Montraient leurs lignes presque planes.
Le beau temps sur la mer répandait la lueur De son ciel pâle de chaleur.
35
LA FIGURE DE PUOl
Nous pensions, au milieu des jardins solitaires, Etre restés seuls sur la terre.
Et nous allions ainsi, lentement, devant nous, Sans nous parler, sans savoir où.
Jusqu'à ce que la nuit tombât sur notre joie Gomme un subit oiseau de proie...
- 36
Il
Jour d'Afrique mouillée et chaude, averse molle... Lorsque, dans les jardins arabes^ les odeurs Gomme des guêpes nous attirent vers les fleurs, Au passage, ma bouche ouvre une rose folle.
Et, relevant au ciel mon visage arrosé, Je cours de-ci de-là, tout ivre du baiser, Croyant que le printeaips, sur des lèvres naissantes, M'a donné tout à coup son âme adolescente.
37 -
III
L'odeur des fleurs mêlée à la brise marine,
Dans les jardins carthaginois, Nous laisse sans désir, sans pensée et sans voix. Toute notre âme est dans nos yeux et nos narines,
Le printemps dit : « Respire et vois ! »
Voici la mer. Voici les fleurs. Regarde! Ecoute !
Porteurs de branches d'oranger, D'œillets poivrés, d'iris fastueux et légers. En rentrant à la nuit, lents et les bras chargés,
Nous nous effeuillons sur les routes.
— 38 ~
MÉMOIRE
Nous montâmes souvent, les nuits, sur nos terrasses Au plus chaud des printemps royalement fanés D'Orient, pour sentir, enfants passionnés. Les étoiles pleuvoir doucement sur nos faces.
Et, comme les champs gris trépidaient de grillons, Nous étions étonnés de sentir jusqu'aux moelles L'espace clignoter et vibrer les sillons, Et qu'il y eût autant de grillons que d'étoiles...
— 39 —
CONQUÊTE
L'Afrique déboisée où l'orge est déjà grande Balance en plein soleil un printemps vert amande.
Nous avançons le long d'une route sans fin Où l'odeur des épis dans le vent donne faim.
Pour fermer le quadruple horizon des campagnes, Il s'élève une tour de Babel de montagnes.
— Qui médira pourquoi, loin du sol coutumier, Mon cœur se gonfle ici comme un cœur de fermier?
„ 40
PREMIER ISLAM
Pourquoi, devant la houle immense de cette orge Et ces monts, je suis prise âprement à la gorge,
Pourquoi je sens, au fond de mon sang terrien, Qu'en somme, et malgré tout, ce pays m'appartient ?
41 —
BERCEMENT POUR MA SIESTE
L'été pousse sur nous, du fond deFOrient,
Son étincelante marée. Que tes rideaux soient clos sur le dehors brillant, Et que ta sieste soit comme une mort dorée.
L'ombre chaude est sur toi. Tes colliers sont éteint- Prends ta nuque dans tes mains vides ; Endors-toi dans tes ongles teints, Le 'front rose et les pieds livides.
Laisse soyeusement épouser ton contour
Tes deux robes asiatiques, Et panteler encore un souvenir d'amour
Dans tes narines pathétiques.
— i-7 —
4:Z
EMIER ISLAM
)rs. Je veux qu'un sommeil tellement merveilleux
Pénètre tes veines bleuâtres le tu sentes tomber lourdement sur tes yeux
Les paupières de Cléopâtre...
43 —
SOUDANAIS
Notre ordre impérieux à l'insolite nègre
L'a descendu soudain de son vieil âne maigre.
Sa jupe de chacals vole, et son tambour peint Gronde, et son masque est fait d'une peau de lapin.
Les cent miroirs cousus à son bonnet sauvasse Eclatent au soleil, au rythme de sa rage.
Il semble ainsi, du haut de ses contorsions, Jeter autour de lui des constellations.
Tout le voyage au loin danse avec ce nègre ivre. Ai-je enfin vu de près ce qu'on lit dans les livres?
— 44
' r
L'EÏJ<:
L'été... L'Afrique fauve est couleur de lion. La chaleur a brûlé le cri frais du grillon.
Voici l'âpre plaisir de la ligne sévère.
Sur les plaines sans fin, le soir se désespère.
Un berger bédouin, brun de robe et de peau. Ne se distingue point du sol et du troupeau.
Autour de son pas lent, pris par la nuit soudaine, Ses moutons ont tassé leurs pauvres dos de laine,
Et, comme reculés dans un commun effort, Devant le couchant rouge ils bêlent à la mort.
CIGARETTE DORÉE
Je sentais de profil brûler mon œil étrusque Gomme dans le musée ancien que nous aimons, Et fumais... Tout à coup surgit Tivresse brusque D'une bouffée en pleins poumons.
Lors, ce qui passe et vit dehors contre les vitres Entra. Ce fut un monde invisible et divin. Une chèvre bêla comme un faune. Il advint La matière de cent chapitres.
Il advint le mystère ordinaire des jours Qu'on ne peut percevoir parce qu'on n'est pas ivre, Parce qu'étant normal on est aveugle et sourd Et qu'on se contente de vivre.
46
EMIER ISLAM
US besoin de mourir pour trouver du nouveau! vois ! L'Univers pâle est grouillant de merveilles, •utes mes personnalités se font pareilles, Et je n'ai plus qu'un seul cerveau.
suis simple d'esprit ! Des bravoures assises )us en avons fini, cœur las et fanfaron ! vais pouvoir ce soir comparaître aux Assises Internes, qui m'acquitteront.
vais enfin marcher au pas avec la clique la vie, et jouir de son quotidien, routine ? Elle était sublime. Tout est bien. Tout se débrouille, tout s'explique.
s villes et le reste à l'extrême horizon, s mers où le vent claque aux voiles ineffables, ut respire dans l'or et les couleurs des fables : Nos enfances avaient raison.
■ s'il faut l'attester, la miette de joie naoigne : le bonheur attend dans les chemins. Voici le bout doré, vraie et première proie Qui me demeure dans la main.
— -A < —
FUMERIE D'ETE
La maison est obscure au fond de la chaleur. Comme, profondément, je respire l'étoile De tabac, l'existence est à travers un voile, Hormis l'étoile en feu qui ravage mon cœur.
Je suis d'avance mûre en longs plis. Je possède Des sens orientaux rêvés par l'Occident. Dans ma bouche, déjà, la .mort montre les dents. Mais l'été m'engourdit d'un bercement si tiède !
C'est l'absence. Ce sont les jours coloniaux. On ne pourra jamais revenir de ces choses ; On est la cantharide ivre au creux d'une rose.. . Au retour, nous serons étrangers jusqu'aux os.
48 —
PREMIER ISLAM
Qu'on se taise. Je vis d'ouate et de silence. Maintenant, maintenant, saurais-je d'où je sors? Est-ce que je finis? Est-ce que je commence? — Qui me fera jamais lever d'entre les morts?
- 49
Il
Petite cigarette en or d'extrême été
Au bout de quoi le monde flanche,
A cause de ton feu mon être est tourmenté Par un songe de ma peau blanche.
Loin d'ici, des drapés sur des visages bruns. Des jours les plus chauds de la terre,
Des pâmoisons de fleurs couveuses de parfums. J'ai rêvé de rhum solitaire.
Parce que les regards humains qui me voyaient Ne pouvaient pas voir mes merveilles.
J'ai voulu de grands soirs marins qui louvoyaient D'Anglais seul avec ses bouteilles,
^ 50 —
'REMIER ISLAM
^ur, loin à tout jamais des mondes, sur un flot, Parmi Todeur saumâtre, vivre
)ans la cabine saure et contre le hublot Ineffable d'un bateau ivre.
— 51 —
SIESTE
Les regards et les dents brillent comme des perles Au fond de la maison obscure, Cloche de fraîcheur, nuit légère qui dure Dans l'océan de la lumière qui déferle.
L'Afrique est tout autour delà maison, et brûle. Fermez les volets, fermez les rideaux ! Pour que l'insoutenable été s'annule Contre ces rideaux et ces volets clos.
Une croix de feu flamboie aux fenêtres, Mince tiltration du dehors sans espoir, Et l'on entend autour de soi ferrement noir Des mouches ivres de bien être.
no
REMIER ISLAM
ih ! couchons-nous morts de fatigue dans les lits, *armi le petit bruit de ces mouches funèbres, It dormons enroulés au quadruple repli )e la paradoxale et fragile ténèbre !...
— 53
UTIQUE
Le bonheur monotone et grave de l'espace Nous laissa souvent seuls avec les horizons Où rodait au couchant notre âme jamais lasse De voir le beau soleil sombrer dans les moissons.
Le soir nous attirait vers les plaines d'Utique Où les blés infinis se mouraient de chaleur, Où, le long des sentiers, le sol trois fois antique Ne nourrissait plus rien que des chardons en fleur.
Et, quand la nuit subite avait éteint la plaine, En rentrant on voyait dans le faux poivrier Qui longe la maison solitaire, briller En face du couchant fini, la lune pleine...
— 54 —
PASSANTS
que. Un infini paysage de lignes • la profusion monotone des blés, me des horizons à jamais accablés désastre éternel de mémoires insignes !
la route où commence à peine le couchant, un arbre, pas un ruisseau, pas une ville. 1 accident, parmi la chaleur immobile: )les et loqueteux, deux Arabes marchant.
voit ces mendiants au soleil qui se couche. ;ls rois seraient comme eux candides et sacrés, mt on ne sait oii sur la terre, et la bouche antdedeux roseaux longs et peinturlurés?...
— bn —
LA FIGURE DE PROt
Ainsi vont-ils, passants de la route d'U tique, Au milieu des cités et des temples perdus, Et la nuit qui descend songe à la flûte antique Et danse devant eux dans les épis aigus.
MALARIA
i veux bien, rentrons. Il ne fait plus très clair, soleil dans les blés meurt comme dans la mer.
la source d'eau chaude où des palmes se mouillent, terre est craquelée et grouille de grenouilles.
)laine serait-elle un marais desséché?
îl est l'instinct qui fait que nous serrons les lèvres?
Vh ! j'ai peur! Pourquoi donc tremblons-nous, si la Fièvre
rampe pas vers nous comme un monstre caché ?...
I
II
Enfermez les enfants, voici le crépuscule... Dans les blés, le soleil est presque trépassé. Un monstre doucereux sort du sol crevassé : C'est l'heure... Sentez-vous la fièvre qui circule?
— Enfermez les enfants, voici le crépuscule.
Les enfants resteront derrière les carreaux
A regarder de leurs grands yeux, brûler la plaine.
Fermez tout ! L'été souffle une terrible haleine ! à
— Sans jouer, sans parler, menacés dans leurs os. Les enfants resteront derrière les carreaux...
— 58 —
RAMADAN
S respirions la nuit de rose et de gingembre es cires en pleurs des chandelles fondant, nd, nuageuse un peu parle vent de novembre, tait, pleine, la lune, au ciel du Ramadan.
s aimions qu'insistât si fort une tlûte aigre es coups indécents du contretemps d'ici ; )re portée au mur, nous aimions les deux nègres positeurs, forgeant tout ce tapage-ci,
ikouz, papillon de nuit, ombre chinoise émenant au fond de son théâtre étroit,
nt autour de lui, selon ce qu'il dégoise, profusion de rires ou d'effroi.
— 59 —
PREMIER ISLAM
Guêpes, nous visitions la nuit de sucrerie, Les gâteaux étages où penche un œillet vrai. L'Arabie en plis blancs nous regardait de près Sans nous voir, les yeux longs et noirs de rêverie.
— Prononcez Orient, prononcez ce mot-ci, Vous autres qui toujours pensez aux trois rois map Pour nous, de chair et d'os et d'aujourd'hui, voici Que nous vivons dans Tordes très vieilles images.
La ville autour de nous poursuit sans rien savoir Sa coutume. Elle boit, mange, prie et se farde. Et nous sentons, perdus dans l'Islam et le soir. Toute l'Europe au fond de nos yeux qui regarde.
I
— 60 —
PAROLES SUR CARTHACtE
I
ORIENTATION
Avec le bercement au vent des asphodèles Et la houle de l'orge aux épis inégaux, Avec les vagues de ton golfe tu m'appelles, Invisible et fascinatrice Karthago !
Ainsi soit-il!... J'irai vers toi, ville fantôme. Afin que soit mon cœur à tout jamais hanté, Et que j'erre, portant le fardeau dans mes paumes D'un peu de tes grains d'orge et de l'Antiquité...
63
SOIR PUNIQUE
Mes mains et mon esprit te cherchent à tâtons Devant la mer qui vit ta grandeur et ta perte,
Ville qui dors sous Forge verte
Et la parole de Gaton !
L'ombre éternelle tourne autour des mêmes cimes Seule je viens encore au milieu des cactus,
Sur la ruine des ruines,
Pour pleurer comme Marins.
Or, la nuit tombe. Un ciel orageux échelonne Ses nuages le long des quatre horizons clairs, Et, tandis que le Ilot roule encor des colonnes, Le couchant reconstruit Carthage sur la mer.
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CARTHAGE EST LA
rthage est là ! Prends la pioche dans ta main frappe n'importe où cette terre trop mûre :
Punique, chrétien, romain, sang des siècles sortira de la blessure.
rthage est là! Prends garde aux spectres! Sous tes pas ute l'histoire dort et la plaine regorge, vent passe. Les champs remuent. Les épis d'orge commencent la houle antique des combats.
rius pleure encordansce ruisseau qui fluo;
cœur de ce couchant saigne la mort des saints ; oite sur les faisceaux des cactus assassins, ns ce petit cyprès Salammbô te salue.
— 60
LA FIGURE DE PROUE
Regarde ! la nuit plane et s'abat. Il fait noir. — Est-ce TertiiUien ou la voix des colombes? Retourne-toi! Tes yeux peuvent encore voir Les vagues de la mer, creuses comme des tombes.
Le flot vient de noyer la torche que brandit Sur l'orgueil des cités le soir incendiaire.
Silence sur mer et sur terre! Garthage est morte à tout jamais : Caton a dit.
i
— 66 —
LES BEAUX PIGEONS
s beaux pigeons de Tancienne Me'gara le voici dans le plein soleil et en grand nombre, 'iviennentsur le sol, d'oii leur vol s'effara, joindre, blancs, l'exact pigeon noir de leur ombre
s? verrons-nous, tant il fait bleu, tant il fait beau, parce que nos cœurs hantés sont remplis d'elle, 1 milieu des roucoulements et des coups d'aile isser le spectre inexprimable, — Salammbô?...
— 67 —
COQUELICOTS
Seule, je parcourais la colline punique Et féroce, où guettaient encore des échos, M'épouvantant de voir, le long des champs tragiquesj Ces mares de coquelicots.
De si vastes, profonds, écartâtes espaces, Nul n'en a jamais vu. Par places. C'était, dans l'herbe haute où je me promenais, Comme si, largement, les ruines saignaient...
— Serait-ce que la Souvenance A travers cette terre où plus rien n'est vivant, Incita le hasard vagabond et le vent A ces semailles-ci qui demandent vengeance?
68
AVERTISSEMENT
uines de ces palais carthaginois
encor la cité des squelettes sournois
lés tout de leur long parmi leurs amulettes.
ns sans murs, humains sans chair... Quand, vers le soir, quelque ancien tombeau nous irons nous asseoir, ns tout bas de peur d'éveiller le squelette,
as ne voulons pas qu'il rampe jusqu'à nous bruit, comme un serpent ou comme une belette,' )nge dans nos yeux le regard de ses trous.
— 69
I
LUNE
Salée encor, humide encor, perle pêchée, La pleine lune vient de sortir de la mer, Et, ce soir, ma pensée ardente est attachée Au nocturne visage, épouvantable et clair.
Visage I Eternité de la lune apparue
Qui laisses l'infini des eaux pour l'infini
Du ciel, viens-tu régner sur ta ville perdue?...
— Es-tu là, Karthago?... Tanit! Voici Tanit 1...
— 70 —
« DELENDA EST... »
5 hanterons longtemps cette mer jamais basse 5 laquelle sombra toute l'antiquité, es cailloux mouillés d'écume qu'on ramasse ouviennent encor d'avoir été sculptés.
hage! nous irons partes moissons tranquilles les souffles marins remuent profondément, os pieds blesseront une ou deux ou trois villes :es devant tes flots royaux de diamant.
souvenir fera rouler les mers humaines
furieusement, se heurtèrent ici, es soirs empourprés reparleront des haines t les champs et les eaux font encor le récit...
1 1
_ 71 _
LA FIGURE DE PI
Ah ! celte âpre cité qui ne veut pas se taire!
Que dit Caton, ce soir?... Morte, Carthage? — Noi
L'Invisible, debout, surgit de cette terre,
Et voici devant nous plus qu'une ville : un nom.
-,').
BARBARESQUES
AU PALAIS DU FRERE DU DEY
Au palais du frère du Dey, Dinme nous regardions par les fenêtres sombres iscendre vers la merles jardins rayés d'ombres, DUS sentions le présent peu à peu s'éluder. a fantôme rôdait, de songe et de science, ; le marbre, le bois, les ors et la faïence :aient autour de nous, à jamais possédés.
Par ces splendeurs mahométanes, nsi, dans ce palais, la nostalgique Alger îrsistait, comme, assise en colliers d'oranger, ae dernière, molle et fatale sultane ; ., le long des bassins et colonnes des cours, i)us cherchions cette perle humaine d'anciens jours, >us le feuillage large où naissent les bananes.
LA FIGUKE DE PROU
Nous fûmes, regardant de près, Parmi les rangs d'à ru ni s et d'iris des allées, Admirant l'air, le ciel au-dessus des vallées, La Méditerranée à travers les cyprès Et sa lointaine coupe arrondie et si bleue, ,
— Gomme jadis se promenait la race feue Qui n'avait point prévu ceux qui viendraient après.
Et de ce lieu nous emportâmes
Seulement le fragile et funèbre trésor
D'une rose trouvée au pied d'un rosier mort,
Rose fanée ainsi que se fanent les femmes,
Les cités sur la mer, les races et les temps,
Et qui garde, arrachée aux rameaux mécontents,
L'odeur dds vieilles fleurs et des anciennes âmes...
RÉMINISCENCE
Comment fixerions-nous la minute qui passe? Dans la villa du Gouverneur, Devant la mer, le ciel et les jardins en fleur, N'avons-nous pas redit un poème d'Horace?
Ainsi nous honorions tout bas le beau matin
D'avril, la maison à mi-côte
Et tout l'harmonieux paysage latin
Que baigne mollement une mer toujours haute,
Car n'était-ce pas là ce qui montait du sol, I De la blanche maison tacite, ! Des iris blancs et noirs sous des pins parasol, i Du golfe bleu que frise une vague classique?...
77 —
AMERTUME
Ces dernières splendeurs déjà désaffectées,
Ces quelques beaux palais dans leurs jardins charmants
Verront monter aussi le noir déferlement
Des vagues de l'Ouest sur eux précipitées.
Alger l'ancienne, Alger, belle galère d'or Qui manœuvrais sous tes forbans nerveux, si fière. Equipage vaincu dont le navire est mort, Quel dur écueil ta fait échouer, ô galère? *
Les soirs, dans l'arrogance et le sang des couchants, xNous regardons avec douleur tout ce qui manque A ton passé; nous regardons la ville franque Qui met sur ton visage un masque aux yeux méchants,
— 78 ~
.HHARESQUES
nous voyons, dans le profil do ta mosquoe imeurce au milieu de l'étranger amer, 1 dernier vieil Arabe à ligure busquée 5sis seul et pensif à regarder la mer.
— 79 —
SIRÈNE
L'habitante des mers tièdeset sans marée Qui cligne doucement des cils orientaux Saura-t-elle abolir la voix désespérée De celle assise au cœur de mes natives eaux?
Ne le dis pas ! je sais que ta face est très pâle Et si tristes tes yeux qu'ils ont pleuré la mer, Certes point le bain bleu que nourrit ce ciel clair Mais la mer rétractile et septentrionale,
La grise mer, ma glauque, où les couchants sont loi Et violents parmi la détresse des brumes, Et, jusque sur le bord, empourprent les écumes. Comme d'avoir noyéjes cheveux roux et blonds.
80 —
RBARESQUES
uplus chaud du soleil africain qui m'abuse, ï sens jusqu'à mon cœur se glisser ton corps froid, •anslucide, et plus pâle et beau qu une méduse, ttout le souvenir se colle contre moi,
\
t c'est lorsqu'un grand cri perce les étendues t m'atteint,— moi qui sais tout le secret des mers, enu, non du port blanc d'où partent les steamers, lais du plus désolé de mes plages perdues...
— 81
SOIRS D'ALGER
Soirs d'Alger, soirs d'Alger sur la berge où tout bouge
Sur les mille reflets agités dans le bleu
Du port, les quais, les mâts à cordages nerveux
Et les paquebots noirs avec leurs tuyaux rouges,
Soirs d'Alger, plus n'est seul l'Islam essentiel, xMais dans ce grouillement d'Europe à dures faces. Quelle rédemption se répand sur les races Avec le soir, le tiède soir tombé du ciel?...
— 82 —
REVANT D'ALGER
vant d'Alger passée au bord du flot assise,
ia foule pareille au plus pur-bas relief,
e douleur s'abat sur mon âme pensive ;
[•, n'ayant point l'orgueil qu'elle soit notre fief,
regrette à mourir le grand profil vétusté
'elle devait sculpter sur le bleu de son port,
lis, et dont le souvenir lui-même est mort,
Et cette voix qui dit toujours : « Ce n'est pas juste...
-- 83
PAONS D'ALGER
Avec les lointains bleus de mer et de platanes D'un parc enchevêtré comme dans les albums,
Sur ce mur de géraniums, • Je vois deux paons mener leurs robes de sultanes.
Je songe à des récits de jeune prince ailé,
De dame enchantée et fatale.
Que j'aime, de verre filé, Ces oiseaux surmontés d'une aigrette royale!
Chère enfance passée, ô contes de Perrault !
Ces deux paons verts suivis d'incomparables traîne
Sont-ce deux dernières marraines. Dans ces géraniums et sous ce beau sureau ?...
84 —
CONTEUR ARABE
J'aime, en Alger, devant la mer, cette Kasbah, Son quartier culotté comme une vieille pipe Et son conteur traînant une sublime nippe Oîi rislam ancien subsiste et se débat.
Il parle. Pas un seul, parmi la foule blanche Qui l'écoute, avec de grands yeux, assise en rond, N'aperçoit la beauté de sa main sur sa hanche Ni l'éclair fugitif qui traverse son front.
'Mais dans son grave calme ou dans sa frénésie La race, se trouvant chez soi, se sent si bien Que parfois tel Arabe en loques qui n'a rien. Tend ses pauvres deux sous à cette poésie.
— 85 —
A LA LOUANGE DES PORTS DE MER
Vous vivez en mon cœur, ports de mer, ports de mei Arrondis et calmés devant le large amer.
Autour des paquebots arrêtés sur leurs quilles, Cette odeur de goudron, d'ordure et de coquilles,
Cette odeur rude du départ et du retour, Je la respire, sur vos quais, avec amour*
J'aime le clapotis qui berce et qui soulève
En vouSjtantde reflets, de commerce et de rêve^
— 86 —
kRBAKESQUES
t l'esprit du voyage erre à travers vos mâts ont craquent doucement les sous-bois délicats.
aux ports, beaux ports de mer de mes villes diverses ans le bleu méridional ou les averses,
saux ports où Ton peut voir se balancer de près î soleil pris, le soir, dans le haut des agrès,
vous chéris du fond de ma première enfance li devinait déjà la joie et la souffrance.
:s barques de Honfleur qui se marquent H. 0. riaient sans bruit à l'heure où la mer monte haut.
les partaient vers Tinconnu qui tente et brille, 'Bc l'obscur désir d'une petite fille,
ors que j 'ignorais encor que mon destin |5 donnerait la mer, le risque et le butin.
|, puisque maintenant se gonfle ma poitrine grand enthousiasme et de brise marine,
— 87 —
LA FIGURE DE PR
Salut à vous! J'ai pris aussi mon large vol Devers un autre ciel, devers un autre sol,
0 vous qui m'accueillez au bout de tout voyage, Beaux ports, beaux ports de mon bonheur et de moi
- 88 —
EN KROUMIRIE
PREMIÈRE NUIT
dlence de la forêt de chênes-lièges
ite immensément dans la nuit,
rri des millions de furtifs petits bruits
existences qu'on ignore et qui y siègent.
'aspiration brûlante du gibier
imêle au cours des eaux, au frôlement des plantes, 8s souffles d'humains enfouis sous des tentes 5 sauvages que des terriers.
, parmi cette nuit des premiers temps du monde,
couché mon front dans mes bras
lissé s'enrouer dans ma gorge profonde
■anglot qu'on n'explique pas,
91
LA FIGURE DE PR
Alors que dans l'obscurité pleine de sources Et de tant de sommeils vivants qui se sont tus, Géométrique et solitaire, la Grande Ourse Régnait à l'horizon sur des chênes crépus.
92 —
ENTHOUSIASME
La liberté cambre nos reins, Dur et nuit, sur le. dos des bêtes à tous crins, t nous nous sourions au vol des chevauchées,
arnous sommes bien loin de la crasse et du fard,
De l'autre côté du départ, )ii peuvent reverdir lésâmes desséchées.
Les autres sont restés là-bas ^ gémir, à serrer du vide plein leurs bras Dans la mollesse européenne :
— 93 --
LA FIGURE DE PRO
Vivent nous qui passons une fougère aux dents ! Plus besoin d'être doux, ni sages, ni prudents-; Nous sommes seulement, toi le mien, moi la tienn
Aimes-tu, galopant loin des foyers mesquins,
Ton petit compagnon des chemins africains
Où tour à tour Forage et le beau temps s'embusquen
Moi, je m'aime d'avoir à jamais oublié Ce qui me fit jadis ou souffrir ou plier, Sentant enfin complète en moi mon âme brusque.
Je m'aime de n'avoir que ma tendresse au cœur, Si forte, que, parfois, seule, elle me fait peur. Dans la guerre inconnue et longue du voyage,
Et de vivre ainsi toute avec le même élan
Qu'un cavalier rué parmi les paysages,
Qui s'esclaffe, un éclat de lance dans le flanc !
9i -
AUTREMENT
1 rudesse des monts accroupis dans la brume 3nt la verdure est bleue en biais sur un ciel •es gris où le couchant lui-même ne s'allume, ;ra mourir dans ma mémoire tout le miel Orient, les jardins de la molle délice 'intanière, et ces nuits telles que des saphirs, i belles que l'amour même ne peut suffire, j, sentant bon parmi les clairs de lune lisses, i corps de la déesse est dans le creux des lys.,.
lant à présent, c'est cette Afrique forestière vec ces monts frisés de chênes pour frontière* liant à présent, c'est cette nymphe on ne sait où^ |ii fait signe et s'enfuit dans le cri du coucou.
— 95 --
SEULE EN FORET
Seule en forêt, sans yeux pour profaner les transes
Du mystère, je veux le plus beau des étés.
Je serai couronnée, à travers les essences,
De chèvrefeuille en fleurs et de cheveux nattés.
Je suis un petit faune ivre de sève verte. Evohé ! Evohé ! Les chênes sont humains ! Pour découvrir en eux l'hamadryade offerte, A tous j'écarterai l'écorce avec mes mains.
J'aime ! J'aime 1 Et l'amour des êtres m'effarouch< Mais, depuis tant de nuits que je t'ai dans le sang Nature ! reçois donc, dans ce cri de ma bouche, Mon désir, mon respect, mon cœur d'adolescent!
— 96 —
ÉLOGE DE MON CHEVAL
Mon cheval au poitrail solide, à Tœil de feu, Frère joyeux de mon âme animale. Ton sang arabe bout comme le mien, beau mâle, Et tu comprends si bien le jeu !
Voici notre statue haute et momentanée. Chaque jour pour nous est le jour des bonds Et des caprices furibonds Vite oubliés au bout de la journée.
Ton galop violent obéit à mon cri, i Nous vivons d'ivresses pareilles ; Et je vois l'existence entre tes deux oreilles, Sensibles à tout comme mon esprit.
— 97 —
LA FIGURE DE PRO
La même passion passe dans nos narines, Le même vent dans nos cheveux. Je fais ce qui te plaît et toi ce que je veux, Et la liberté gonfle nos poitrines.
Le tout puissant pouvoir s'équilibre entre nous :
Ma vie est livrée à ton dos farouche,
Ma volonté mate ta bouche,
Et ta force est prise entre mes genoux.
Que si, présentement, 1 ombre multiple et une Descend avec le feu des soirs, Dis ? Prenons notre trot vers la nouvelle lune Cornue au-dessus des bois déjà noirs.
Rythmons des quatre pieds notre vol qui s'élance, Si tu veux gagner le but d'un seul trait. Et battons vivement la mesure au silence Dans les sentiers de la forêt.
\
- 08 -
RENCONTRE
JL'aventure à travers les pays parcourus. Les plaines sans verdure où, nue et torse, brille La Medjerda, comme une anguille, Dans la douleur du soleil cru ;
Les jardins des villes arabes Et d'autres; les cités en ruine ou debout, Garthage trois fois morte oh l'orge garde un goût
Des cendres immémoriales ;
La foret des pays Kroumirs Où nous galopions, une rose à l'oreille,
Sur nos belles mules pareilles. Nous délivran^t de tout, même du souvenir;
BlBbrOXHECA Otttvlen«5*
LA FIGURE DE PROUI
L'aurore couleur d'abricot, Le midi, le couchant, la lune ronde et haute
Sur ces forêts oii, côte à côte, Nous vivions glorieux, seuls avec notre écho ;
Les soirs d'immense rêverie Sur le plus haut des monts du pays vert et roux.
Lorsque, du fond de l'Algérie, Les sommets successifs déferlaient contre nous ;
Tout cela qui berçait notre vie ineffable, Pour un moment, en moi, fut comme n'étant plus. Le jour que, sans savoir, nous sommes descendus A Tabarka, ville marine dans le sable,
Parce que la mer s'y répand
Verte, lumineuse et foncée. Et qu'au cœur du large bleu-paon. Toute mon âme s'est en silence élancée Vers plus loin, vers plus beau, vers plus pur, vers plij Où nous n'atteindrons pas, même par la pensée...
— 400 —
MINUTE
Les oliviers du beau ruisseau de Ben Métir Mêlés aux naturels jardins des lauriers roses ; Puis, retenant un bouc dont l'effort veut bondir, Un Arabe debout, sculpté parmi les choses ; Puis nous autres riant du bonheur de nos yeux Avec notre jeunesse au fond de la poitrine, Inconscients de ces lauriers impérieux Dont l'amertume en fleur viole nos narines...
— 101
MOMENT NOCTURNE
Nous qui ne portons point le joug bas des aines,
Qui ne connaissons plus dans quel monde nous sommes
Nous savons la splendeur des soirs déracinés
Oii Ton est seulement des femmes et des hommes.
Nuits d'Afrique ! Tenant nos nuques dans nos mains, Nous avons respiré Tété comme des plantes, Alors que, sur nos yeux restés à peine humains, Le ciel laissait tomber ses étoiles filantes.
Ah ! qui saura les dieux que nous avons été Quand toute la foret craquait comme une écorce Et qu'animale en nous s'étirait notre force Dans un instant plus grand que notre éternité?
— 102 —
SECONDE
e longue forêt de reflets est dans Teau ; jiltitude du ciel qui s'y est renversée t un abîme bleu sans fond, me tiens sur ce bord, seule avec ma pensée ;
n'est rien que mon cœur, ce n'est rien qu'un peu d'eau, lis la vie éternelle en moi s'est renversée |nsi que la forêt et le ciel dans cette eau, ' je me sens, avec des reflets jusqu'au fond, us profonde, magique et menteuse que Feau...
— 103 —
CRÉPUSCULAIRE
Le jour s'en va. Monte ta bête! Le plateau s'ouvre au bout du chemin malaise'... Dans l'obscurcissement de la nuit qui s'apprête, Les lacs lointains sont des coupes de lait.
Est-ce le feu dans la forêt? Le plateau s'ouvre au bout du chemin malaisé... Monte! Tu pâliras en détournant la tête, Devant le déploiement du couchant biaisé.
— 104 —
K.KOUMIRIE
donc glorifiera le ciel de sa blessure? :on silence ou de ton chant as-tu triomphale ou sombre? -tu l'attarder debout sur ton ombre?
donc glorifiera le ciel de sa blessure? ! dis! que tes talons éventrent ta monture, JDuisses-tu, saignant, écumant, trébuchant, idir des quatre pieds au travers du couchant
105 —
REVEILS
VILLAGE
En Afrique mineure, on retrouve au passage Un bout d'Europe au flanc d'un mont, dans un vilb Traversé. C'est, au vol, le réveil chassieux Des êtres dont l'aurore ouvre les pauvres yeux. C'est, au sortir de la ténèbre et du silence, Le bruit et la couleur du jour qui recommencent. C'est un homme qui baille en étirant ses bras Sans sourire. C'est un cheval osseux et las; On lui remet, alors que cliguotent ses taies, Son collier de misère au creux des mêmes plaies; Et c'est vivre. Et la bête est triste immensément, i Autant sans doute, ou plus encore que les gens...
— 106 -
II
IVIUiMAGiNE
rest le réveil de la monta2:ne sombre et claire iui garde encor la nuit sur un de ses côtés.
îlle reprend sa bienheureuse éternité, dassivementj face à l'aurore millénaire.
2t, pour être pareille au bel Arabe lent jui se lève dans son manteau fatal et blanc,
Elle écarte la brume et sort de ses nuages, Et crève le ciel rose avec son grand visage.
10'
AU PAS
Malgré le doux sous-bois où vont mes promenades. Je sens toute l'Afrique autour de mon cheval. Cavalier insolite, avec mon cœur féal Et fier, je suis Tancrède au pays des Croisades.
Je vais au pas, rêvant, la hanche sous mon poing, Étroite et masculine avec mes fauves bottes, Et, collant à mon corps, Forgueil ancien des cottes, Comme mes preux normands qui guerroyaient au le
Le long des horizons, le jour court à sa perte. Un pays de couchant et de lacs violets Brille ; et je ferme un peu les yeux, et je me plais Ainsi, sur mon cheval aux narines ouvertes,
— 108 —
|(vR0U31IRIE
aivrant en douceur du vague conte bleu me fait, d'un revers de ma lance opportune, ^rainqueur du soleil, ce long dragon de feu, 'annonciateur de la nouvelle lune.
— 109
CAVALIER TACITURNE
Cavalier taciturne, à l'heure où se recule La mer, lorsque s'endort la diurne couleur, Je sens tout ce qui sombre avec le crépuscule Entrer au fond de moi pour me briser le cœur.
Qu ai-je admis, qu'ai-je aimé dans la pleine lumièr Et voici que le soir met mon orgueil à bas. Je chercherai toujours et ne comprendrai pas Le secret de ce cœur d'énigmatique pierre.
Nul n'a su détourner mes prunelles vers lui. Mais du creux du lointain monte la nuit marine, Et si fort sa douceur me gonfle la poitrine, Et je me sens si haute et triste dans la nuit...
— 110 —
KROUMIRIE
t
iesse intérieure, ô ma seule Vivante ! •mme tu lèveras T impossible regard |! tes yeux vers la lune à l'horizon levante, que tu seras pâle et qu'il se fera tard!
:rrai-je devant moi ta face solennelle iie les heures du jour ne doivent jamais voir, lune? Et franchissant le firmament du soir, ngerai-je longtemps joue à joue avec elle?...
111 —
NOCTURNE
Les branches noires de la nuit Plongent déjà dans le clair de lune, Mais au bout du sentier de la foret qu'on suit, Rouge, un morceau de couchant brûle.
Le cœur un peu serré par le mystère, Au galop de nos mules ailées, Nous descendons vers les vallées, Vers la bouteille à l'encre des vallées, Que ni ce couchant ni cette lune n'éclairent.
0 nuit ! Ne crains pas qu'au creux d'un tournant br
La constellation mauvaise d'une ville. Si l'horizon se fait plus clair. C'est que nous rencontrons la mer.
112
ROUGE D'AUTOMNE
Rouge d'automne et jusqu'au haut d'un chêne insigne,
Une tonnelle naturelle,
Une ombrelle de sauvage vigne
Au creux du long sentier dont nous suivons la ligne.
Laisse-moi rêver un peu, Belle tonnelle, belle ombrelle ^ous laquelle on voit tout le pays bleu !
IV l'ombre des rougeurs de ta vigne qu'on longe, Je me bâtis toute une vie en songe. Je m'arrête un instant sur ce seuil...
i-^uis nous passons. Pays, vigne, vie : un coup d'œil.
~ 11.3 —
PLENITUDE
Existe-t-il un pays quelque part Qui n'ait pas la couleur des heures forestières, Qui ne se creuse pas, sur des flancs montagnards, De golfes d'ombre et de lumière?
Un pays sans le beau henné
D'octobre, qui fait les fougères rousses,
Un pays sans nos promenades de mousse
Et leurs chemins que barre un chêne assassiné?
Un pays qu'aucun vert lichen ne marbre Et qui n'ait pas des jours entiers Oij l'on ne rencontre, au hasard des sentiers, Qu'un Arabe beau comme un arbre?...
— 114
XROUMIRIE
T nous, ne sachant plus que quatre horizons bleus, ravins moutonnants et des cimes frisées,
ï la mer tout au bout des monts, et, lorsqu'il pleut,
sursaut subit des sources improvisées,
is ne pouvons plus rien aimer que formes, bruits,
fums, furtifs comme des plumes,
pirer du soleil et manger de la brume,
ir l'aube commencer à Test de la nuit,
los chers soirs oii Fombre d'une ombre nous suit,
clair d'un tantinet de lune...
115 —
I
COIN DU FEU
T'attarder à la rêverie Que l'esprit des tisons te siffle, Est-ce par peur du vent qui crie Ou que la grêle ne te gifle ?
S'il fait mauvais, crève la vitre! Ta bouche à la chaleur se gerce. Laisse interrompre ton chapitre Et va boire à même l'averse.
Dehors, dure et bonne est la vie ; Ton âme attend que tu la mènes. Dehors, ce sont cent mille chênes Qui chantent de toute leur pluie.
116
N KROUMiniE
Il pleut! 11 pleut sur ton royaume ! Va! Cours les routes et les pistes ! Le livre est trop lourd pour tes paumes, Et les conseils du feu sont tristes.
Va !... Câline est la cheminée A l'heure où la tempête hue, Mais que pesante une journée De n'avoir pas été vécue !
— 117 —
EFFUSION
Puis-je savoir combien je t'aime, blonde automne
Qui fais battre mon cœur si fort? Faudra-t-il que toujours me ravisse et m'étonne Le retour de ta lente et magnifique mort ?
Te voici donc ! Je cours à toi tout éperdue
De t'adorer comme quelqu'un, De t'avoir reconnue à ton fatal parfum Comme une amie absente et qu'on croyait perdue
0 chère ! Je voudrais te prendre sur mon cœur.
Et ne puis, sur ma bouche douce, Que coller cette feuille ardente, rouge et rousse, Aussi belle, ou, plutôt, plus belle qu'une tleur.
— 118 —
LA RIVIERE SAUVAGE
La rivière sauvage est trouble où l'eau chantonne,
Et la belle saison commence à dévier.
Autour du frêne vert et du gris olivier,
Les vignes ont trempé dans le sang de l'automne.
Pour nous, l'heure douteuse où nous sommes assis Nous impose silence et retient notre haleine. Dis?... Parle crépuscule orageux et concis. Resterons-nous à voir monter la lune pleine,
Et, tournant au-dessus de ces oliviers gris, De la rivière trouble et des vignes innées, Le vol irrégulier d'une chauve-souris ^
Agiter le couchant de ses ailes fanées?...
119
RETOURS
Par ces après-midi d'automne, nous aimons Le beau désordre vert et jaune des vallées, Et, par forêts, labours et brousses emmêlées, Nous descendons goûter l'air du cirque des monts.
Au retour, des bouquets pendent sur nos visages. Car, trois ou quatre fois, nous sommes couronnés. Et la petite odeur des cyclamens sauvages Se mêle au fort parfum des narcisses fanés.
Des rameaux d'olivier et de myrte, trophées, Sont dans nos mains. Saisis par un désir de chant, Nous rions, par-dessus la plaine ébouriffée, A l'étoile qui nait dans le creux du couchant.
— 120 —
ARRACHEMENT
^ le drame éternel des saisons se dénoue, . st parmi cette fin surtout que je me veux. Uomne! Te sentir ravager mes cheveux, '- courir me jeter contre toi, joue à joue !
travers de ton temps gris et passionné, vahissant d'un pas impérieux d'amante tte clairière-ci qu'un coup de vent tourmente,
mêler tout entière à ce chêne fané,
ur que, mortes, quittant la branche principale, 3 quelques feuilles fuient dans le sens du ciel bas, que je puisse croire aussi que la rafale s arrache de force à mon cœur mûr et las!....
121 —
11
DEBANDADE
Ce jour tumultueux rejoint la nuit, au bord Du ciel rapide et gris fuyant sur les vallées, Et, dans le crépuscule où la forêt se tord, 11 pleut au vent parmi les branches bousculées.
Le silence rompu craque de toutes parts. Octobre se répand, roux sur la mousse verte. — Gomme il fait violent et comme il se fait tard, Et comme la nature, ici, court à sa perte !
Est-ce vraiment la fm de tout ce que j'aimais? Automne ! Je sais bien, ta mort est provisoire ; Mais dans ce chien et loup furieux, comment croire Que tout ne s'en va pas, à jamais, à jamais?...
— 122 —
RUÉE
ieuxqiiela passion, que le galop m'emporte! lisse plus vif encor bondir mon cœur griffé ! veux partir au vent, impérieuse et forte. Sur mon beau cheval décoiffé.
)mme je le comprends, je veux qu'il me comprenne, peut violemment voler vers mon désir, ;, du fond du danger où sa force m'entraîne, Me faire rire de plaisir.
<3st par lui seulement qu'à moi-même j'échappe, <iand je fonce d'un bond sur les soirs les plus beaux, <iand ses crins déployés claquent avec ma cape, Que ma rage est dans ses sabots.
— 123 ^
LA FIGURE DE PRC
il
Nous ferons déferler la vague furieuse De ton triple galop d'écume, mon cheval! Pâle, j'assourdirai d'arabe guttural Tes oreilles ambitieuses.
Ruons-nous ventre à terre au travers de l'été Sans savoir vers quel but invisible je lance Mon orgueil, ma beauté, mon rôve, ma puissance Et ma responsabilité !
Et quand viendra la nuit, dernière Centauresse, Redressée et vertigineuse, ouvrant les bras, Je saluerai d'un cri de joie et de détresse Les étoiles qu'on n'atteint pas.
124
RÉVÉLATION
Croyais-tu que, vivre, c'était Se mourir de coussins et d'ombre Dans la demeure où tout se tait. Violente, amoureuse ou sombre?
Croyais-tu que c'était plutôt La longue sirène des robes? La musique oii parle enfin haut Ton cœur qui toujours se dérobe?
Croyais-tu que, la joue au poing, C'étaient tendre l'oreille aux villes Pour surprendre les plus subtiles Des plaintes qu'on n'écoute point ?
— 125 —
LA FIGURE DE PROUE
Ou bien, hors l'art et la musique, Le rêve et la réflexion, Ouvrir des bras de passion Vers l'horreur des métaphysiques?
Vivre, ah vivre ! c'est, au galop, Mater une bête rétive, C'est sentir au soleil trop chaud Suer et brûler sa chair vive.
Dans l'encombrement des chameaux, C'est s'ouvrir une place dure. C'est une gutturale injure Qui guérit du poison des mots.
C'est le tour et détour des lieues, C'est, au coin d'un village clair. L'apparition de la mer, C'est du sable et des forêts bleues,
C'est, au repli des manteaux blancs. Cueillir des yeux de flamme noire, C'est secouer de sa mémoire Tout le musc du passé troublant.
— 426 —
jOUMIRIE
Et puis c'est, au vent de la course, Rire à ton compagnon de jeux, Et, dans un regard de ses yeux, Boire son cœur comme une source.
127
i
DE FRANCE
RETOUR DEPAYSE
l partir, revenir et repartir encor. l Paris, c'est la Seine et tout l'Ouest humide 'on avait souvent médité sur la mort, n'aura plus son front à la vitre viride, lie s'assoira plus devant les beaux grands feux nands, comme autrefois, par les soirs sérieux, :nd les siècles pesaient au front de quinze années,
iitenant, plus de vitre et plus de cheminées îtidiennes d'un passé désenchanté. : pris la grande. route et ne puis m'arréter. nt connu la joie et le mal du voyage, e puis jamais plus être que de passage...
— 131 —
LA FIGURE DE P
Chère âme, ne prends donc aux fleurs que leur pari Sache quitter toujours quelque chose ou quelqu'ui Et, d'étape en étape et d'envie en envie, Chevauche ! Sois un bon cavalier de la vie ! Romps tes muscles, mon âme, ô voyageur en feu, Et ne veuille qu'un mot joyeux et dur : Adieu !
— 132 —
II
Tu es là, le Louvre, avec ta façade,
Ta base dans ta Seine fade,
Tes clochetons dans ton ciel gris.
Tu es ma France, mon Paris,
Tu es ce que j aimais et tu es ce que j'aime,
Tu es moi-même...
El pourtant j'ai le cœur serré
D'un souvenir d'Afrique et de sable doré,
D'Afrique oiije retournerai,
De sable où je sens que, peut-être, je mourrai ;
D'Afrique si mélancolique.
Où tant j'ai regretté ta façade historique.
Où je t'ai regretté, mon Louvre, mon enfance,
Où je te regrettais, ma France.
12
LA FIGURE DE PROUE
Pourquoi mon cœur sent-il qu'on a brisé son nid? Qu'y a-t-il donc en moi de tellement fini Pour que mes yeux te voient face à face, ma France, Avec plus de regret qu'au temps de mon absence?
134 — I
D'UNE FENÊTRE SUR LA SEINE
Je pense seule à ma fenêtre de Paris, Devant le Louvre noir dans le temps glauque et gris, Devant la Seine entre ses quais de pierre dure, Ses ponts, ses deux ou trois peupliers sans verdure.
Je pense au cher pays d'Afrique tout doré Qui, dans un pli profond de ma mémoire, brille ; ' A ce Paris qui fut et demeure ma ville ; A des pays encore inconnus où j'irai ; A ma tendresse au fond de moi comme un sourire, A des choses aussi que l'on ne peut pas dire Et qui brûlent mes yeux de domination.
— 135 —
LA FIGURE DE PROUE
Je pense avec indifTérence et passion A tout ce qui m'attend, à tout ce qui m'amuse. — Et la lune, qui s'accentue avec le soir, Avance tout à coup, comme une qui veut voir, Dans mon rêve secret son visage d'intruse.
— iSfi —
II
Louvre me regarde au coin noir de ma vitre ec les yeux profonds de l'histoire de France, urtant, aimé-je encor la chère accoutumance Paris ? Mon destin m'ouvre un nouveau chapitre,
Faudrait s'accouder et se reprendre toute, is comme jamais plus mon regard ne s'arrête, vais toujours devant et sans tourner la tête : r j'ai quitté tous les pays. Je suis en route.
— 137 —
12^
III
Le cri des bateaux sur la Seine M'entre en plein cœur comme un poignard. Mais je suis seule. Nul n'est là pour mon regard, Pour mon âme et ce qui la mène.
Mon cœur s'est éteint dans le gris,
Mon cœur où flamboyait l'Afrique...
Repose dans mes mains, mon cœur mélancolique,
Voici ce que t'a fait Paris.
0 moi passée, ô mon aînée ! N'avons-nous pu nous délier? L'Afrique se débat dans mon mal familier Gomme en un piège d'araignée.
— 138 —
t FRANCE
Lfriqiie est morte, mouche d'or,
us les réseaux de la grisaille...
[gnards, cris des bateaux, à quoi bon qu'on s'en aille
l'on doit au retour se retrouver encor ?
139
PREMIER SALUT
A Notre-Dame de Paris, lourde chimère Qui, dans le ciel changeant, creuse un double sillon, A la mère aux flancs élargis, la bonne mère D'idéal, d'art, d'amour et de dévotion,
Nous apportons le cœur nôtre qui se dérobe, Le meilleur cœur, celui que notre orgueil défend. Nous nous réfugions dans les plis de la robe De pierre, avec le geste oublié de l'enfant.
Nous venons habiter parmi son ombre ailée. Qu'elle veuille souffrir que nous vivions le long D'elle, et soyons archange ou gargouille, selon Que nous nous sentirons l'âme pure ou troublée.
— 140 —
ANGELUS
Dame, salut à vous, pleine de grâce.
ferveur est avec vous.
paraissez durable entre tout ce qui passe,
ire fruit, le rêve, est béni comme vous.
•Dame d'ici, mère de notre race,
z sur nous, les artisans au cœur subtil,
3nant et quand nous mourrons. Ainsi soit-il.
i4l —
ANGOISSE
Gomment puis-je éloigner Tlnvisible, aujoiird'hu Qui fera taire cette tour dont les trois cloches Entament jusqu'au fond, de par leur mauvais bri Mon cœur que je sentais dressé comme les roche
0
Est-ce que je n'ai plus l'Orient dans le sang? Ne se pourrait-il pas que l'on me fit entendre Le rythme arabe qui roucoule, rauque et tendre, Dans le bois d'un roseau fragile et tout puissant,
Pour que la simple voix de tourterelle humaine
D'une des flûtes primitives de là-bas
Annule doucement avec son refrain las
Le grand mal que me fait la cloche européenne?..
— 142 —
ROCKING CHAIR
?e-toi clans ton fauteuil, ô jeune femme! planer sur toi le tendre soir venu. 5; un peu ta vie, et repose ton âme iirder bouger devant toi ton pied nu.
bon ne songer à rien quand la nuit tombe. 3e soir seulement, ce soir presque d'été, )n sauvage cœur soit comme une colombe.
pencher ton front étroitement natté.
?s rien qu'une enfant pieds nus qui se balance. tes yeux, ferme ton cœur ; et n'entends pas monté vers toi, plus fort que le silence,
IX qui t'aiment trop et que tu n'aimes pas.
— 143 —
A PORT-ROYAL
Jusqu'aux genoux dans l'herbe en Heurs de Port] Devers la majesté des grandeurs ruinées, Nous allions. J'adressais le salut filial, Respectueusement, aux gloires, mes aînées.
Froides comme l'esprit du mort Jansenius, Les pierres tressaillaient sous mes deux paumes r Ma jeunesse, parmi la piété des choses, Y paraissait plus sacrilège que Vénus.
Pourtant je triomphais que Juin, autour des spe Parfumât et chantât par les foins, les sureaux, Le cri sec des grillons, infatigables plectres, Et le roucoulement rauque des tourtereaux*
Il f 4ir
INVOCATIOiV
us, production étra-nge et naturelle sang rouge et hleu, rusé, savant, ardent Et magnifique d'Occident, -Dame, éternel, immobile coup d'aile,
qui vous compliquez comme notre cerveau D'imagination à jamais fatigante, ne comprenons point à fond ce qui vous hante, esprit satanique autant qu'il est dévot,
nous nous retrouvons dans vos rosaces folles emprisonne et luit un univers vermeil, qui ne pouvons voir qu'à travers des symboles Le jour tout simple du soleil.
— 145 —
13
LA FIGUUE DE FI
Orage d'harmonie, ô muette musique, Votre flèche elle-même, en son vol sans défaut, Ne peut monter tout droit vers la métaphysique Qu'en se chargeant encor d'ornements jusqu'en li;
Donc, pierre et verre! forme alourdie et légère, Loin des Jérusalem, Nazareth et Sion Qui dressent dans les Suds leur hlancheur étranj 0 fantasque ! soyez notre habitation !
^
■— 146 —
LITANIES DE NOTRE-DAME
floraison du passé, rose ardente de pierre, Cœur de Paris, cœur de la France;
klèrede l'idéal, mère de la prière,
Rocher pensif de l'espérance ;
immobile vaisseau sur le flot de la ville, Grand rêve dans la foule vile;
Double tour de silence et de battements d'ailes. Nid des saints et des birondelles ;
Bague sculptée au doigt de la Force inconnue, Flèche au cœur obscur de la nue ;
_ U7 —
LA FlLiUKE DE PBm
Monstre séquanion miré dans les eaux basses, Et dont les yeux sont des rosaces ;
Squelette compliqué du défunt moyen âge, Témoin resté de son ouvrage ;
Coffret géant où sont les secrets de l'histoire, Berceau de notre foule noire ;
Couveuse des œufs d'or du génie anonyme, Montagne humaine à double cime;
Découpure du ciel, demeure del'Idée, Pierre à tout jamais possédée,
0 passée, ô présente, ô future, œuvre mâle, Notre-Dame, o originale !
Châsse que se sculpta notre race ancienne. 0 française, ô parisienne!
Notre-Dame, du haut de ta ilèche légère, Garde-nous de Tâme étrangère ;
— 14S -
DE FRANCE
Garde-nous du mesquin, du banal, de TignoMe, Conserve-nous notre âme noble ;
Notre-Dame d'ici, mère de poésie, Délivre-nous de l'Hérésie!
149
DANS LE CIEL ROSÉ
Dans le ciel rosé Où le soleil se meurt longuement comme une âme. Sur le haut de Notre-Dame, Un oiseau posé.
Grosse comme rien Se perd, parmi l'amas du monument chrétien. Sa sculpture naturelle: Mais il a des ailes.
— iî^O —
HÉSITATION
»ays d'autrefois, mes deux pays premiers,
Paris et ma cote normande, [ue je suis au loin, mon âme redemande î ciel nuageux, vos toits ou vos pommiers.
•adant m'avez-vous, en vérité, reprise ? on cœur, revenu parmi votre air subtil, N'est-il pas encore en exil.
Verte campagne et ville grise?
es ! 0 ville ! 0 terre oii sont mes anciens pas, >rte en moi l'inquiétude et l'insolence
De me souvenir en silence j'ai marqué mes pieds sur d'autres sols, là-bas,
— ir»i —
/ LA FIGURE DE PI
Hélas ! je comprends moins votre douce lumière Pour avoir vu llamberdes ciels plus inouïs... — Quiconque trop longtemps a quitté son pays N'y peut plus rapporter son âme tout entière.
— 152 —
NOSTALGIE
Ville de mon autocratie et de ma fête,
Paris, j'ai maintenant assez de ton péché.
Je voudrais de nouveau le soleil sur ma tête
Et l'Afrique à mes pieds comme un lion couché.
S'il faut, pour n'être plus despotique et câline, Secouer d'un seul coup d'épaules tes parfums. Partons ! Retournons-nous vers des visages bruns, Refaisons-nous bientôt une âme bédouine,
Afin de revenir quelque jour sans desseins Autres que contenter notre cœur variable, Pour rouler plus sauvagement dans tes coussins Un être ivre d'oubli, de Sud, de ciel, de sable...
— 153 —
PRESCIENCE
Orient, me veux-tu, rivage insatiable. Berceau brûlant de tant de faces endormies. Pour que je sente ainsi ma place dans ton sable, Près des déesses d'or et des sombres momies?
Puisque je veux m'évanouir dans ta chaleur, M'en retourner vers toi comme vers mon tombeau, Vas-tu coucher aussi mon corps couleur de fleur Au sarcophage de ce sable pur et beau ?
Pourtant je viens, joyeuse en dépit du hasard. Mon âme est comme était la Grande Courtisane : Une ville perdue et sur laquelle plane Le rire inconscient et doux de Balthazar.
\U
EN PARTANCE
Pourquoi prétendaient-ils qu'on n'arrive jamais ? Le voyage pour moi n'est pas ce grand mensonge. Chaque nouveau pays est celui que j'aimais, Je reconnais partout la couleur de mes songes.
; Quand le sifflet des trains m'a lézardé le cœur, Je me sentais sortir de moi par tous les pores.
i Les bateaux ont crié ma joie et ma douleur D'océans inconnus et de nouvelles tlores.
Que si parfois je perds de moi-même, en passant. Gomme un agneau sa laine aux ronces acérées, Le large étonnement des terres ignorées Me refera peut-être un regard innocent*
— 153 —
i
LA FIGURE DE PROU
Je poserai des yeux diiïérents sur les choses D'avoir, entre mes cils, tenu tant d'horizons. Je possède déjà plus que notre raison D'Europe, ayant dormi certaines nuits de roses.
Le monde reste grand pour qui le voit de près. ; On lève vers le ciel une face accueillie Aux jours qu'on s'accompagne, à travers les forêts, D'une traîne de fleurs et de branches cueillies.
L'esprit vole aussi haut qu'un grand archange clair Quand on ouvre les bras vers des mers inefTaljles, Qu'on va, sur une bete emportée au désert, Eventrer le soleil qui se meurt dans le sable.
On goûte plus avant, le cœur gonflé d'adieu, La couleur, le parfum, la musique des villes, Et leurs femmes d'un soir, belles comme des dieu Secouant sur leurs bras des bracelets servîtes.
Gomme j'ai soif encor de couchants ensablés, De cités au soleil, d'ardentes forêts vertes ! Que je sens tous les lieux oii je voudrais aller Me fasciner du fond de l'étendue off'erte !
— 156 — •
s FRANCE
Je suis partie ! Au jour de revoir mon pays, Ma ville capitale et ma native plage, Mes hivers trépidants, mes automnes rouis, Je veux que ce retour soit encore un voyage.
L'univers est à moi, tout pays est le mien. Je suis chez moi partout et partout étrangère. D'exister sans foyer, de ne compter sur rien, M'a donné le secret d'avoir l'âme légère.
On rêvait de mourir, mais voyager vaut mieux ; Je me suis pour toujours arrachée à mes fibres. Juelle terre me peut retenir, ou quels yeux ? Vlon être s'est enhn dispersé : je suis libre !
— 157 —
14
LE DÉSERT
ODE AU DESERT
Mon désert doux aux pieds, mon fauve Sud extrême,
Inféconde clarté mère des oasis,
Je remettrai mon pas qui te caresse et t'aime
Dans la trace oubliée et creuse de tes fils.
Tes fils sont morts. J'ai vu, dans le sable stérile, L'intaille que laissa ton bédouin sculpté Sur son cheval touffu, dansant et difficile, Et qui passe, ignorant à jamais sa beauté.
Tes fils sont morts. J'ai vu, sur ta route infinie. L'empreinte de l'Europe amère aux regards secs. Qui, préparant de haut ses serres et ses becs. Noircit les horizons de son vol d'ironie.
— 161 —
LA FIGURE DE PROUE
Tes fils sont morts. Je vais vers toi comme un goumiei Le matin sablonneux, voilé de sauterelles, Roucoule doucement au loin de flûtes frêles Oîj Tâme arabe enroue un éternel ramier.
Tes fils sont morts. Cernant l'étendue incréée, S'entasse sur le ciel l'Atlas plutonien. Je vais vers toi. Ne veux-je rien ? N'attends-je rien ? Océan, océan, oij donc est ta marée ?
Tes fils sont morts. Qui sait ta joie et ta douleur? Qui presse sur son cœur tes dunes et tes croupes? Qui saisit à deux mains tes couchants de couleur ? Qui donc, qui donc te boit comme une immense coupe'
Je vais vers toi. Tes fils sont morts, mais je te bois. Je te bois, pur désert des saints et des prophètes. Car je sais quels encens ont fumé dans tes fêtes Et que tes horizons ont entendu des voix.
Tes fils sont morts. Passez, Europe haïssable, Passez, inconscients bédouins aux yeux lents. Vous ne saurez jamais l'ultime fleur de sable, L'aloës inouï né tous les deux mille ans.
162 —
lÉSERÏ
3 ne saurez jamais qu'avec ses blancs mirages,
palmes et ses nuits ot son étoile au ciel,
te pour ce seul calice essentiel
ésert d'Iaveh, du Koran et des Mages.
163
LE CRI DES CRAPAUDS
Le cri des crapauds, dans le Sud, Me tombe sur le cœur comme une goutte d'eau Les palmiers doucement balancent leur fardeau — Rien, rien pourtant, ce soir, dupasse ne s'élu
Le désert orageux largement se dénoue. La nuit d'Afrique monte entre les palmeraies.. Ah ! pourquoi ces crapauds ont-ils la voix des ha Et des herbages verts pendant l'été, chez nou
— 164
FIGUIG, ENTRE TES TOURS
Figiiig, entre tes tours de garde et tes talus, Palmeraie au désert jetée Dont les montagnes ne sont plus Que de la lumière sculptée,
Les longs rameaux de tes palmiers entrecroisés, Tes murs de terre cuite pâle, Ton ordonnance féodale Nous rendaient Tàme des Croisés.
Fleur de l'extrême Sud, parmi tes brises molles Et les odeurs de ta moisson, Nos cœurs battaient à Tunisson De l'eau vive de tes rigoles,
— 16") —
Quand, sur nos grands chevaux, cavaliers d'autref Ak.rs que nous avons passé tes portes, A la tête de nos escortes, Nous avancions comme des rois.
Figuig lointaine encor, Figuig couleur do sable Meure ton Islam libre et vieil ! Sous Timpérissable soleil Meure ta beauté périssable,
Nous, les premiers, en attendant les jours nouveai Au creux du sable oii tout s'efFace, Nous aurons imprimé la trace Des quatre pieds de nos chevaux.
i66 —
A TRAVERS L'AIR DU SUD
ravers l'air du Sud qui dessèche les bouches, us vers un Avril déjà gonflé d'épis, enadsa, nous reposer sur des tapis
t un esclave, indolemment, chasse les mouches,
•
r, par les arcs outrepassés, dans les pavots jardins sur lesquels va se lever la lune, nègres, duvetés comme des belles prunes,
ser sous la blancheur des orangers nouveaux.
tarder, pour un jour ou pour toute la vie^ is la demeure fraîche et l'éternel été, l'on peut s'en venir mourir, à bout d'envie^ soleil, de silence et de fatalité...
— 167 —
I
SOULEVEMENT
Puisque, au désert, bercés de lliiies musulmanes Nous vivons gais avec des âmes de héros, Il ne faut pas chanter ces choses de Schumann Qui nous laissent le cœur si gros.
Alors que vous chantez, qu'est-ce donc qui pers: Dans nos esprits occidentaux, Quelle richesse de sanglots. Quelle race d'ailleurs si triste, au fond, si triste?
168
ODE AUX JUIFS
\ VOUS ai vus, les Juifs, dans l'horreur du ghetto B VOS pays originels, soleil et sable, ivre à l'écart votre existence misérable ir quoi le monde a mis un éternel veto.
li vu monter la garde ironique et cruelle i l'Arabe, mortel ennemi de l'Hébreu, )iit l'orgueil bédouin maintenait en tutelle pire caste maudite et destinée au feu.
!
î long de vos taudis où la tête se cogne, vermine, la puanteur, l'obscurité ouillaient atrocement dans l'immuable été i Sud, comme une immense et multiple charogne
— 169
15
I
LA FIGURE DE PROU]
Et VOUS célébriez vos Pâques sans bonheur Par les chants étouffés de votre foule vile, Et vos enfants riaient sous les roses et l'huile, Avec des yeux humiliés et pleins de peur.
Mais dans ces yeux de velours noir ou de pervenche Une sourde éloquence allumait le regard, Et ces yeux nous disaient au passage : « Plus tard I « Ne connaissez-vous pas déjà notre revanche?
« Vous savez bien, pourtant, où vivent nos aines ! « Votre race, au delà des mers, en est enceinte. « Vous avez dans le sang l'ineffaçable empreinte « De leur bouche lippue et de leur puissant nez.
(( Regardez-les de près, nos yeux opiniâtres ! « Oui, nous sommes hués, méprisés, avilis, « Mais nous posséderons vos trônes et vos lits, « Vos commerces, vos lupanars et vos théâtres.
« Nous serons accroupis au fond de tout. Bien mieux
(( Pour finir la vengeance effroyable et rusée,
« Nous, purs sangs fourvoyés dans votre foule usée,
« Nous vous enfanterons sournoisement des dieux»
170
E DÉSERT
C'est pour un Juif divin sorti de nos étables Que vos orgues s'enrouent et que dansent vos fleurs. A nous les papes blancs, Tencens, les saintes tables, Toutes les Notre-Dame et tous les Sacré-Cœur!
Le Ghetto!... N'est-ce pas pour la petite Juive, Pour cette Myriam de chez nous, cependant, Que tant d'architecture inouïe et naïve Se dresse sur l'amas des villes d'Occident?
C'est nous, votre au delà, vos terreurs, tous vos râles. Nous vous avons tordus du fond de notre Sud, Et nous chantons sur vos cités notre Talmud, Et vous nous bâtirez encor des cathédrales.
Que les deux Orients et les deux Occidents
Nous gardent ! Nous saurons trouver notre royaume,
Et nous regarderons tourner dans notre paume
Le monde. Et c'est pourquoi nous rions en dedans. »
1- Ainsi, dans le soleil et le sable, au passage, écoutais ce regard au langage muet hargé de patience infinie et de rage, lui, d'entre les longs cils hypocrites, fluait.
— 171 —
LA FIGURE DE PROD
Et je voyais, en vérité, tout le Possible
Qui guette dans vos yeux pleins de honte et de peur
Et moi qui ne suis point, Israël, votre sœur.
Je vous ai salué tout bas, peuple terrible !
172
FANTASIA
i est la joie, en mon cœur nouvellement élue, )e monter un cheval qui danse et qui salue It secoue au galop sa tête chevelue.
iB sang, comme du feu, brûle dans ses naseaux, l hennit de désir au mirage des eaux, la le Sahara dans la moelle des os.
I
iB dur soleil, le ciel profond comme une coupe,
.e sable à l'infmi, l'espace que je coupe
']t ma divine compagne, mon âme, en croupe,
}u'on me donne cela, puisque mon sourd instinct /a réclamé sans cesse à l'Occident éteint ; )u'on me donne cela pour unique destin.
— 17H —
15^
LA FIGUUE DE PROL
Qu'on me donne cela que je sois brusque et rauqu(
Que j'écarte d'un bond rhumanilépédauque,
Et me jette au travers du couchant rose et glauque,
Que mon âme se dresse en un grand rire fier,
Et, songeant au passé nourri de sel amer,
Crie au ciel : « Mon cheval est plus beau que la mer!
174 —
ODE FUNEBRE
A la mémoire cVlsahelle Eberhardt.
faudrait les tambours des grandes chevauchées i rinriocent roseau qui s'enroue au désert... lis honorer ta fin de mes seuls yeux amers li pleureront le long des routes desséchées!
us t'attend re, malgré la mort, à des tournants, land les nuits sont, au Sud, de palmes et d'étoiles, land les parfums des oasis sont dans nos moelles .que l'Islam circule en ses manteaux traînants!
regretter, alors que je ne t'ai point vue, i moment où mes mains allaient prendre tes mains, î heurter, moi vivante, à toi, tombe imprévue, ns avoir échangé le regard des humains !
— i75 —
LA FIGURE DE PR(
Je pense à toi, je pense à toi dans les soirs roses, Jeune femme, ma sœur, jeune morte, ma sœur! Tu me parles parmi l'éloquence des choses, Et ta voix, ô vivante, est pleine de douceur.
Salut à toi, dans la douleur de la lumière Où tu vécus d'ivresse et de fatalité ! Le désert est moins grand que ton âme plénière Qui se dédia toute à son immensité.
Toi qui n'étais pas lasse encore d'être libre, D'avoir tant possédé tout ce que nous voulons. Ni que toute beauté frissonnât partes fibres Comme un chant magistral traverse un violon.
Pourquoi la mort si tôt t'arrache-t-elle au monde, Ne nous laissant plus rien que l'admiiation, Alors qu'il te restait encore, ô vagabonde, A courir tant de risque et tant de passion?
Tout se tait. La bêtise immense et l'injustice Qui te regardaient vivre avec leurs yeux si gros, Ne te poursuivront plus, au milieu de la lice. Du hideux cri de mort qui s'attache aux héros.
— 170 -*
DÉSERT
is irons à présent lui dire qu'il se sauve, i cheval démonté, sus aux quatre horizons, ir apprendre ta fin subite au néant fauve Saharas sans bruit, sans forme, sans saisons.
'toi tu dors, enfin parvenue au mystère
9 ton être anxieux cherchait toujours plus loin,
veloppée aux plis éternels de la terre,
nme dans la douceur d'un manteau bédouin.
— r
EN MARGE
I
PROFIL
tranquille et muet, si sage sous ta lampe nt Fabat-jour répand un jour vert et subtil,
Je te vois lire de profil ec tes beaux cheveux descendus sur ta tempe, ;ses et noirs ainsi qu'une plume d'oiseau.
risi, calme lecteur sculpté comme au ciseau, i croirait que ta force intérieure est prête, it grand éclat de rire ou discours emporté, bondir pour un mot, pour un signe de tête, nt, tout entier, ton être en feu va s'exalter?
181 —
16
LA FIGURE DE Pî
Ton visage, troublé de joie ou de colère,
Va donc se dresser fulgurant Selon Finstant qui va te plaire ou te déplaire,^ Mais qui ne peut sur toi passer indifférent.
Car ta vie est un étalon tout blanc d'écume Qui ne s'attelle point au mornejour le jour, Mais hennissant, ruant et cabrant tour à tour, Piétine et danse en liberté sur la coutume...
Ah ! scandale à jamais des hongres de partout, Mon homme ! qu'il fait bon et dur contre ton ûm Que j'aime ton esprit qui galope à grands coup A travers le silence immense où je me pâme.
Toi que je vois ainsi sculpté comme au ciseau
Lire de profil sous ta lampe. Avec tes beaux cheveux descendus sur ta temj Lisses et noirs ainsi qu'une plume d'oiseau...
-- 182 —
POUR UN AMI
A la charmante mémoire de la Comtesse R, de C,
S pensions la revoir, nous ne songions à rien, oici qu'on nous dit tout à coup qu'elle est morte. s nous nous sentons frustrés de notre bien, iombe a pris si vite un corps comme le sien, •s de grâce où vivait une âme fière et forte !
ont allés sa voix, ses yeux au regard net, mouvements exacts, sa native élégance? 5 disions : «C'est avec son cœur seul qu'elle pense. » îhée au miroir pur de sa tristesse immense, ^ ce qu'elle ignorait elle le devinait.
— 183 —
LA FIGURE DE PRi
Mais vous ?. . . Comment finir la route commencée ?
Votre âme reposait dans sa petite main,
Elle était votre épouse et votre fiancée,
Elle était l'aujourd'hui, l'hier et le demain...
Et vous demeurez seul au milieu du chemin !
Souvenez-vous. Elle avait peur de la vieillesse. Peut-être cela seul calmera votre mal, De songer que ses yeux parfois, pleins de détresse, Regardaient scintiller, comme un signe fatal, Un premier cheveu gris parmi l'or de sa tresse.
Souvenez-vous, souvenez-vous de son tourment ! Jalouse, elle guettait votre désir d'amant. L'âge n'aura pas mis son masque sur sa face : Elle est partie en plein amour, en pleine grâce, Pour rester, par la mort, jeune éternellement.
- 184
MÉDITATION SUR UN VISAGE
J'ai douloureusement médité devant vous Et j'ai pleuré sur vous, vieille dame étrangère Qui ne pouviez savoir ma jeunesse légère Occupée à fixer vos traits pâles et mous.
Je m'étonnais si fort que vous fussiez rieuse, Moi qui d'abord pensais que vous n'aviez plus rien Ayant à tout jamais perdu l'unique bien D'être tentante, d'être étrange et vaporeuse.
La vie est-elle donc moins dure qu'on ne croit, Puisqu'elle soigne encor comme une bonne mère. Qu'elle sait égayer cette vieillesse amère Ofi tout semblait devoir n'être que morne et froid?
— 185 -
LA FIGURE DE PROUE
Et pourtant avec quelle épouvante cachée Je regardais, songeant à ]a blancheur de lis De nos âges, la peau ravagée et tachée De ce masque qui fut jeune femme, jadis!
— Moi qui veux vivre jusqu'au bout, est-il possible D'imaginer qu'ainsi je pourrai rire un jour Lorsque je n'aurai plus ce trésor indicible : L'audace, la beauté, l'entrain, l'orgueil, l'amour ?...
— 186
FOURNEAU ÉCONOMIQUE
is ai vus, les pauvres gens, avec leurs dos iiliés, leurs dos pleins de malheur, attendre itance qu'on leur donnait sans geste tendre, bon regard, ainsi qu'aux mauvais animaux.
^quoi m'a-t-il fallu souffrir de leur onglée, ur faim, de leur soif, du regard de leurs yeux? •quoi criait vers moi leur foule désolée ? e suis pas le Christ. Que puis-je, moi, pour eux ?
ez-vous pas, autour de vous, senti mon âme ?
»itié passa sur vos visages nus,
VTes gens, pauvres gens pour qui mon cœur de femme
ftourait de douleur après vous avoir vus.
187
I
MUSIQUE I
La musique a frôlé mon âme de ce soir Et je suis devenue ivre et obéissante. Faut-il que, jusqu'au fond de l'être, je la sente Et ne comprenne pas ce qu'elle peut vouloir?
N'auras-tu pas pitié? Nous nous sentons si lasse D'être le violon de ton archet nerveux. 0 Musique, torture et douceur, grâce!... grâce !, Qu'y a-t-il donc en toi qui prend comme des yeux?
Ah viens ! tords-nous les mains, musique, spasme Tu fais lever en nous, à travers des sanglots, Toute une âme de fond passionnée et vaste Gomme le vent, comme le ciel, comme les flots.
— 188 —
Il
La musique m'a prise et faite son esclave, Quand ces musiciens, ce soir, chantaient entre eux, Ils chantaient et jouaient toute leur âme slave, Menés par la guitare au profond ventre creux.
Ils croyaient s'amuser un peu sur la guitare, Mais leur race sortait des cordes et du bois, Et le grand crescendo qui leur gonflait la voix, Exhalait leur douceur charmeresse et barbare.
Caucasiens, bohémiens, petits-rnssiens, Tous les rythmes formaient une géographie Intangible, qui rit du temps et le défie ; Et le pays entier reconnaissait les siens.
189
LA FIGURE DE PROU)
— Rythmes slaves, bouffée inconsciente et pure, Musique de ce soir ! leur Révolution Coulait aussi, comme du sang, de la mesure, Avec son rêve triste, avec sa passion.
Et, seule, je tenais entre mes mains ma tête, Et mon cœur défaillait, et je songeais tout bas : (( Toute réalité pour eux est la défaite. Car ils ne veulent pas, car ils ne savent pas... »
— m
TROIS VOIX DE CE TElMPS
VOIX DES ROIS
A. bout de sang. La race en nous est un vampire. Donc, comment serions-nous des hommes, étant rois? Et si le monde dit : « Que la lumière soit! » Que comprendrions-nous ? Le monde, c'est TE m pire.
L'huile du droit divin brille à nos têtes d'or ; (Vlais nous ne savons pas pourquoi nos yeux sont tristes Pendant qu'autour de nos clinquants vivent si fort Les foules, ouvriers, penseurs, rêveurs, artistes.
Or, sur ta pourpre, ô sang de la réalité, Quand nous traînons ainsi la pourpre des légendes Et Fennui, faut-il donc que notre cœur entende Gronder aux quatre vents l'hymne à la liberté ?
s
— 191 --
LA FIGURE DE PROl
Faut-il donc sur nos yeux nos mains terrorisées Pour ne pas voir monter snr nos Etats amers L'épouvantable, rouge et magnifique mer De la révolte en route où crincent des risées?
Les bons droits sont autour de nous comme des loups. Mais s'il ne se peut pas que la meute se taise, Si nous sentons toujours vaciller sur nos cous Le chef inconscient et doux de Louis seize,
Amen ! V^ers un vétusté et niais infini, Sans nous plaindre, levons de sublimes fronts calmes, Et, d'avance, tendons nos bras martyrs aux palmes, Ignorant quel long crime avec nous est puni.
Pour pénétrer tout droit en pleine apothéose, F'ace à l'Histoire, au seuil du couchant violet, Sans avoir soupçonné jamais de quelle chose Toute l'humanité debout nous en voulait...
192
II
VOIX DU REVE
fntime liberté, la liberté tout bas, !)us l'enseignons à l'homme, en secret, face à face, lis, si l'heure a sonné de l'anarchie en masse, 1 fond des quatre points nous appelons le tas.
3utons! Moutons ! le maître a mis ses belles marques lijuscules au flanc des dociles toisons, ais viennent à craquer les planches qui vous parquent, Dtre débordement crèvera l'horizon.
lie, sur les grands chemins de poussière ou de neige, ous inscriviez votre ruée avec du sang, u'importe, si déjà le berger tout puissant àlit de peur, de voir, que son troupeau l'assiège?
— 193 —
17
LA FIGURE DE PRO
Moutons, moutons humains! Foules! Tous les sans Tous les sans droits, venez! C'est le jour du délire Des cœurs. S'ils sont en vous tendus comme des lyre Chantez, huez, gueulez plus fort que les canons!
Vos millions de voix réveilleront le monde. Toutes les nations, prises d étonnement, Écouteront debout comme le souffle gronde D'un peuple, génial poète d'un moment.
Ivresse! 0 coup d'épaule aux portes millénaires, Air vierge respiré pour la première fois. Sombre fléau faisant à grands coups, sur son aire, Sortir la liberté de la gerbe des rois !
— Or, nous vous l'enseignons, vous tous qui voulez n Pas de mornes revers aux géantes horreurs Des révoltes. Gardez vivante dans vos cœurs Cette exultation du jour qui vous délivre.
Que chacun porte en soi toute l'humanité. N'accueillez pas dans vos esprits l'oubli du crime; Que ne s'y taise point la clameur unanime, Le cri d'accouchement de votre liberté.
— 194 —
MARGE
aignez pour lendemain le jour-le-jour infâme,
l routine de ceux que vous avez jugés,
purs maisons, leurs soucis, leurs livres et leurs femmes,
ornière de leurviceet de leurs préjugés.
lie le quotidien forfait de l'égoïsme, ue la honte des lois et des religions e vous atteignent pas de leur contagion, 'abâtardissent pas votre rouge lyrisme.
ais quand tout sera coi sous des gazons épais, atissez sur le plan des rêveurs que nous sommes, imez-vous. Travaillez. Pensez. Soyez en paix, ayez dignes, soyez simples. Soyez des hommes.
— i% —
III
VOIX DU PEUPLE
Ceux-là, leur foi, leur loi, leurs livres, leurs maison} Ceux-là, contre lesquels nos vagues se soulèvent, Ceux-là qui font rugir nos cœurs et nos raisons. Ceux-là que nous avons jugés, c'est notre rêve.
C'est le lendemain vrai de notre liberté. Le mur neuf reconstruit sur le mur millénaire, Nos lils, le sang du sang révolutionnaire Sur les chemins de boue ou de neige égoutté.
Aujourd'hui, le beau souffle rauque, hommes ou femme: Passe en nous. Mais ce n'est que le moment d'un cr Demain, pour reposer notre grand corps meurtri. Nous nous endormirons pour nous lever infâmes.
— 19G —
•■.V
^N MARGE
Notre soc indigne retonrnant le sillon Humain, croit s'attaquer à la mauvaise graine, Mais déjà la moisson d'injustice et de haine Repousse au dur labour de nos rébellions.
Donc, ayant dit tout haut ce que nous voulions dire, Réclamé devant tous ce qui nous était dû. Notre foule, poète en feu, ne sera plus. Et dans l'oubli muet se détendra la lyre.
C'est pourquoi, de nos mains sanglantes, nous mettrons L'huile rance des rois au front des Républiques, Et livrerons le monde aux nations obliques Que nous aurons laissé couver dans nos girons.
Pour que la Ville avec son masque de façades. Avec son monstrueux et morne jour-le-jour, Stupide, dans l'orgueil des prisons et des tours. Renaisse lentement du cœur des barricades.
197 —
LUCIDITE
Ta bouche, ma beauté, ma grande et ma chérie, Ta bouche toujpurs jointe est une pierrerie, Ta bouche qui contient les bonheurs et les maux. Qui contient l'ombre et la lumière, Ta bouche oii reposent les mots Et qui se tait comme une pierre,
Rouge cachet du masque humain silencieux, Aussi tragique que les yeux. Muette comme les corolles, Ta bouche où dorment les paroles...
Gassandra! Gassandra! Delà mort à Tamour, Elle sait tout, la bouche en feu comme une braise!
Mais il vaut mieux qu'elle se taise, 0 Prophétique, o Vérité! Le monde est sourd.
198
ARCHANGE
/ent du crépuscule, en Europe, autrefois, is mes jardins mouillés faisait pleurer mes roses, e sentais toucher subtilement mes doigts grand archange entré par les fenêtres closes.
îh ange du couchant, ombre, toute blancheur, i fermais sur ton corps la robe de tes ailes, :*as-tu si jamais ta face m'a fait peur, tes plumes n'étaient chez moi comme chez elles?
, livide et gonflé de vent comme un vaisseau, lix fenêtres du soir tu ne m'as fait des signes ? •Ah ! n'ai-je aimé jamais ni mouettes ni cygnes Dur m'effrayer du vol adolescent d'oiseau,
199
LA FIGURE DE PI
Et, pour trombler avec la honte de ma caste D'une Présence auprès de mes sens animaux, N'ai-je conçu, jamais dans ma poitrine chaste, Un amour sans toucher, sans regard et sans mots
11
— 200 —
PRESENCE
Il faut que Dieu vive et que tu existes, - Pour que brûle en moi cet encensoir en feu Vers ta face opposée à la face de Dieu, Bien aimé des purs, des invaincus, des tristes.
Longtemps, sans savoir, parmi tous les chants Terrestres, j'ai suivi ta voix suraiguë, Et mes yeux s'attardaient encor, la nuit venue, A voir ton manteau traîner dans les couchants.
J'ai touché ton corps luisant dans les vagues. Je* t'ai respiré dans les subtils flacons, J'ai deviné parfois tes yeux troublés et longs D'idole, entr'ouverts parmi certaines bagues.
— 201 —
LA FIGURE DE PROUE
Maintenant je sais tes tours et détours
Et comment tu vis dans l'énigme profonde
Des lignes, dans le coin des bouches de Joconde,
L'équilibre des plis, l'axe des contours.
Je sais pourquoi j'aime et hais le supplice Des dissonnants, des énervants violons Et de l'art agressif avec ses vases longs Gomme enpoisonnés de leur vernis trop lisse.
Je sais pourquoi j'erre avec l'âme en deuil
Éprise des reflets des eaux indicibles,
Sombre et sombre, les mains vers tous les Impossibles,
Dans l'exaltation dure de l'ore-ueil.
Je sais pourquoi vont quelquefois mes songes Vers l'incomplet et vers l'indéterminé, Pourquoi me plaît le mal du baiser détourné. Pourquoi m'attire l'ombre et tous ses mensonges.
— Donc, ô toi ! présent dans tout ce chaos Qui fait mon bonheur trouble et mélancolique, Toi dont je cherche en vain la face archangélique, Prise dans les reflets, les ombres, les eaux,
— 202 —
SN MARGE
jrâce ! donne-moi ta bouche de femme,
Fon odeur de lys, ton regard orageux,
Pour que brûle à ton souffle et se noie en tes yeux
Ma sensualité qui peut-être est mon âme !
203
IN MEMORIAM
Pendant que je suis jeune et vivante, grand'mère, Te voici morte, toi, sans rien dire, au pays, Par quelque jour glacé de la saison amère. Quand les prés ne sont pas encore épanouis.
Je pense tendrement : tu fus si longtemps femme, Et toute la fatigue était dans tes genoux. Tu te reposes donc enfin, de corps et d'âme, Dans la terre foncée et fraîche de chez nous.
Ta beauté n'était plus qu'une feuille séchée. Tu n'auras maintenant ni forme ni couleur. Plus rien d'humain, plus de regard et plus de cœi Où loger ta tristesse apparente ou cachée.
— 204 —
EN MARGE
Ton esprit, compliqué jadis, était en toi Devenu par avance aussi simple, à la longue, Que les lleursqui naîtront bientôt de ton corps froid, Lorsque, au vent, germera ta sépulture oblongue...
Donc, l'étroit cimetière entre deux chemins creux
Ayant enseveli ta figure dernière.
Cette saine vieillesse et sa carrure fière,
Ce visage au beau nez de ruse, aux jolis yeux,
"" Bequiescat sur toi, vieille dame normande! Que la terre soit douce aux os qu'elle a couverts, Et que bientôt l'Avril des champs et des prés verts Balance sur ta mort une branche gourmande...
205 —
18
i
MEILLEUR PLAISIR
Malgré ce qu'elle c^'ie aux heures de la chair, L'amour, cette profonde inguérissable plaie.
N'est pas son plaisir le plus cher.
Elle dira pour être vraie :
— Ce n'est cela, ni le voyage ardent au loin; Ce n'est pas de courir devers la renommée ;
Ce n'est pas d'être belle à point;
Ce n'est pas d'être trop aimée.
Mon vrai plaisir est calme et doux comme un hamac C'est de m'asseoir devant le couchant ; c'est encore Quelque page de J.-S. Bach Qui vibre à mon toucher sonore ;
— 206 —
EN MARGE
C'est, des heures, poser un silencieux front Contre ma vitre de Paris, verdàtre et pâle,
Pour voir les martinets, en rond,
Envelopper ma cathédrale ;
Ce sont les soirs secrets, les soirs où j'aime autrui, Oii je pleure en dedans sur les malheurs du monde, Les soirs où la tendresse abonde Dans mon cœur sans rêve et sans bruit;
C'est de me savoir seule, en un coin, accoudée, Alors que, dans la paume étroite où je la mets,
Ma tête enfante quelque idée
Que nul ne connaîtra jamais ;
C'est, en somme, de me sentir humble et si chaste Et si bonne, vraiment, que mon esprit en feu
S'élève alors vers le ciel vaste
Comme si je croyais en Dieu.
— 207 —
POUR BEAUCOUP
L'ennemi guette au fond de ses lâches repaires Et cherche à se cacher tout en mordant de près. Age de pierre pour toujours. — Aucun progrès N'adoucira jamais le venin des vipères.
Si loyale, si droite et pure, malgré tout, 0 mon âme, ô ma sœur unique, tu t'exhales. Faut-il que ces humains, amas immonde et fou, Entourent ta beauté d'un relent d'âmes sales?
Allons-nous en, allons-nous en bien loin d'ici Ma respiration souiïre de ces haleines. Allons blanchir, parmi les solitudes saines, Le rêve intérieur que leur souffle a noirci.
— 208 —
POÈMES ORANAIS ET KABYLES
18^
i
NUIT SUR LA MER
.lors que ce steamer tangue et roule sur l'eau, loi, bien couchée et seule en face du hublot 'iii, parmi l'ombre, épanouit son œil unique, 3 sens vivre sous moi la forme océanique.
e bâbord à tribord et d'amont en aval, eureuse démonter la mer comme un cheval, a poitrine se gonfle et bat, car Théroïsme € mon âme native est à son paroxysme.
nous le rêve obscur que nous fîmes souvent !
nous rivresse,à nous l'écume, à nous le vent Btte nuit, je voudrais le bonheur et la rage e mourir en riant dans l'horreur du naufrage !
— 2ij —
TOURMENT
Douceur de la féroce Afrique léonine, La Méditerranée, au creux du pays sec, Chante dans les goémons roux et le varech
Son éternel poème grec, Et je retrouve ici son odeur féminine.
A présent je le sais, moi qui connais le loin,
Le sol colonial oii la moisson abonde
Et les villes du Sud dans l'immensité blonde,
Je l'aime plus que tout au monde, Mon esprit et mes sens ne s'en guériront point.
— 212 —
ÈMES ORANAIS ET KABYLES
Elle vient, à mes pieds, rouler comme une bete Son grand Ilot possédé de la divinité. A jamais elle se souvient d'Aphrodite
Et d'avoir enfanté Cette ultime coquille arrondie et secrète.
Sais-je ce que je veux ? Sais -je ce que je veux ?
Un mystère profond m'attire à son rivage.
Quand n'attendrai-je plus, dans son calme ou sa rage,
L'apparition d'un visage Dont je mordrais la bouche et baiserais les yeux ?
— Mer Méditerranée, ô toi, belle étrangère Dans ta robe d'Afrique éployée au soleil. Te boire ainsi qu'on boit une coupe de miel,
Porter ton saphir sans pareil Au cou, comme une pierre inouïe et légère I
213 —
VISAGES
Nous avons admiré la campagne infinie Et les monts bien boisés de la riche Oranie.
Nous avons fréquente sa ville capitale Sur laquelle la mer indolente s'étale.
Tout le pays vivait dans l'abondance et Taise, Gomme, en terre d'Afrique, une belle Française.
Mais nous savions comment la province s'ensable Vers le Sud, dans l'horreur du soleil implacable,
Et que la vie y garde encore le visage D'une Bédouine âpre, efflanquée et sauvage.
— 2t*4 —
I
ï
A TLEMGEN
A Tlemcen, parmi les tapis, l'ombre et la chaux Fraîche, j'ai désiré d'être l'Arabe à mine De brigand qui tenait si bien son cœur au chaud Dans son manteau troué, sa race et sa vermine.
La mosquée entourait de son luxe charmant Cette pauvreté profondément endormie Dans l'oubli, le repos, l'ensevelissement. Et j'enviais sa quiétude de momie.
Connaîtrai-je jamais sur la terre ce bien De dormir dans un lieu de prière concrète Et d'encapuchonner dans la laine une tête Qui ne désire rien et qui ne pense à rien ?
— 215 —
£4
A DJIDJELLI
A Djidjelli, nous ouvrions nos yeux heureux Sur cette allée au clair de lune où les platanes Avaient leur ombre exacte et noire devant eux. Et, sentant rire en nous nos âmes de sultanes D'Occident, dans la nuit illuminée oii tout Se taisait jusqu'au bruit même de la merproche, Nous étions sans désir d'ailleurs et sans reproch — Un peu de nuit, un peu de joie. Et c'était tout.
— 210 -
COMPLICITE
Ma grande tourmentée éternelle, la mer Que voici ce matin bleue à trois rangs cFécume, M'offre son acre goût d'iode et de sel clair Gomme une immense coupe amère que je hume.
Je sais le sens exact de sa fausse douceur Faite de sable tiède et de vagues arquées. Nous n'avons pas besoin de nous être expliquées ; Je connais le secret de ma divine sœur.
Jamais son flot qui s'échevèle et se rengorge Ne pourra se guérir du désir exigeant. Il ne sera jamais ce calme carré d'orge Dont frissonne au soleil la verdure d'argent.
— 217 —
MARINE DU MATIN
Gomme au long du pays d'enfance vert et roux Sur lequel déferlait le large dramatique, Je rôde ce matin, seule et comme chez nous, Vers les bords bienheureux delà mer exotique.
Je l'aime. Je voudrais lui confier mon cœur Pour qu'il y soit roulé comme une pierre ronde,' Pour qu'il s'eft'euilledans le flot comme la fleur Dont la cloche fragile orne ma sombre et blonde' Coiffure, et qui, jetée au glauque va-et-vient, Mêle son sucre au sel méditerranéen.
— 218 —
MISSIVE
|ut au travers des sombres monts du Thababor
Où tournoyait l'aigle kabyle, oute : j'ai passé sur mon cheval habile )oser ses pieds fins sur les sentiers sans bords.
is-tu rôder, sur les sommets, ces brumes blanches es s'ouvrent parfois, laissant à découvert,
Entre la torsion des branches, jît le beau mois de mai d'en bas, puissant et vert.
blessés par le drame ancien des orages, vieux arbres haussaient l'azur à bout de bras, leurs faîtes cardaient la fuite des nuages, Les jours de vent et de ciel bas.
— '1\9 —
LA FIGURE DK PUOI
1
J'ai l)Li dans le soleil les sources éternelles Qui débordent, suivant leur pente, de partout,
Et qui gardent le petit goût Des fougères en tleurs qui détrempent en elles.
Dans la neige d'en haut, quelque gibier caché
Se laissait surprendre à la trace. Et, dans les morceaux chauds du pays, les rochers Avaient des singes gais qui faisaient la grimace.
Et, comprends-tu ?... Serrée au pied d'un chêne f( Et mouillé, j'oubliais la grande horreur du sable, Dans la bonne foret qui porte, invariable. Sa mousse du côté du Nord.
220
AMOUR
Qu'obtiendrons-nous jamais de vous, noces humaines, Puisqu'on nous l'animal est mort ou presque mort ? Mais t'obéir, nature ! aller oii tu nous mènes, Et que tes seuls parfums tuent en nous tout effort.
Mais nous mourir, les soirs que le désir nous couche, Delà possession de tes grands bras touffus, T'aimer, nous qui savons quelle épouse tu fus Pour ceux qui t'ont voulu connaître bouche à bouche !
Propice à nos repos comme à nos passions. Ton visage, qui change avec toutes les heures. Rit lorsque nous rions, et, si nous pleurons, pleure, Snns yeux pour nous tirer une explication.
221 —
1Q*
1
LA FIGURE DE PROUE
Tu ne sais pas l'horreur du geste et des paroles, La contradiction de cet amour impair ; Tu nous tends seulement tes profondes corolles Qui sont une douceur plus douce que la chair.
Ton sein ne connaît point la limite du spasme, Le funèbre regret du plaisir accompli-. Pour offrir à nos sens un éternel phantasme, Au creux des horizons ton amour fait son lit,
Nature, seul rachat de Thomme et de la femme, Unique amie en qui cesse l'isolement, |
0 toi qui nous connais, toi dont nous savons Ta me, j Puisque ton âme, c'est la nôtre, simplement.
222 —
MANSOURTA
Je garde en ma pensée et je n'oublierai point Une grotte marine, où, debout, haut la tête, Je regardais s'ouvrir et se fermer de loin Les mâchoires de la tempête.
Comme en un coquillage immense oii se cacher. Toute seule j'entrais furtivement en elle. L'eau souterraine y sculpte à même le rocher Des cathédrales naturelles.
'Au plus profond des creux d'architecture et d'eau, *Ai-je cru voir ou vu, de mes yeux, la sirène Porter les bleus joyaux marins comme un fardeau Sur sa chair lisse de murène?
223
LA FIGURE DE PR«
Que sais-je?... Par respect je n'ai pas effaré Celle dont le secret clans les trous d'eau se couche Et je n'ai pas connu son peureux corps doré Ni le goût d'huître de sa bouche...
■j.z^
PASSIONNEMENT
Je garde la mémoire ainsi qu'une blessure De cet enfant Kabyle avec qui j'ai parlé. Ce n'est pas pour son corps couleur de datte mûre Dans sa robe de pâtre au geste immaculé;
C'est parce que son masque immobile de cuivre S'est improbablement et doublement fendu Pour deux pâles iris oii le cœur éperdu Se noie, et sans lesquels on ne saurait plus vivre.
Ses pieds sont nus. Sa tête est chaude de plis blancs. Il a contre une joue un seul pendant d'oreilles, Un tatouage au front. Et, douce sur ses dents, Sa bouche violette est un muscat des treilles.
— 22Î
LA FIGURE DE PROUE
Il ne sait rien, ni royauté, ni qu'en sa chair Foncée, au pur contour de frôle idole mâle, La lueur de ses yeux brille comme une opale. Il ne sait même pas qu'il a le regard clair.
Il ouvre ce regard et ne se croit qu'un pâtre Qui rit et joue avec un parler guttural. Il ignore sa force. Il ignore le mal Qu'il fait, qu'il est Gircé, Dalila, Gléopâtre.
J'ai vu pleurer de près dans les cils de ces yeux Une émeraude bleue, une turquoise verte. La sirène affleurait sur leur surface offerte, J'y devinais la forme effrayante des dieux.
Ces yeux! Mon souvenir les boit comme deux sources Qui me laissent un goût très doux et très amer. Ils sont le but de vivre et le terme des courses, Tout ce que j'ai voulu du ciel et de la mer.
Ils sont la joie et la douleur de la musique
Et des parfums, qu'on aime et qui vous font pleurer.
C'est pourquoi je dédie à cet enfant doré
Ma chair spirituelle et mon âme physique.
226 -
LA FKiLHL DE t'HOUE
.le n'en avais jamais rêvé comme les tiens Quand mon désir cherchait les regards des amies. Puisqu'à présent, ô souvenance! je le tiens, J'oublierai jusqu'au yeux des sphinx et des momies,
J'ai vu tes yeux, Phaon. Je sais qu'il me les faut Ou que je vais périr du souhait de mes lèvres. I Pourtant je passe. Reste à surveiller tes chèvres : Je ne veux pas mourir de la mort de Sapho.
227 —
D'UNE FENÊTRE SUR LA -RADE
ENVOL
Dans le creux de ces huit montages orageuses, La baie au soir tombant est comme un bol de lait.
Viens t'accouder devant le port, puisqu'il te plaît De voir évoluer les coques voyageuses.
Tu ne sais pas le mal et le bien que te font
Ce soir tombant, ce ciel, ce port, ces promenades,
Toi dont l'âme d'oiseau de mer, devant les rades, Tourne en criant autour des bateaux qui s'en vont.
— 228 —
II
ELAN
Personne ne pourra sur la terre savoir
Combien j'aime les silhouettes Des puissants paquebots ancrés, rouges et noirs, Dans les ports bleus d'Afrique où tournoient les mouettes,
0 mes chers paquebots pour un jour à l'écart
Du large où le destin se joue, Que soit ma face au vent la figure de proue De vos avants tournés du côté du départ!...
— 229 —
20
m
VEILLEE
A la fenêtre lumineuse de la chambre, Le clair de lune, peu à peu, devient le jour. Qu'est-ce donc, dans ton âme obscure, qui se cambre Et qui s'affaisse tour à tour?
Pourquoi donc cette nuit de veillée inquiète? Faut-il, faut-il, alors que le monde est blafard Et mort, qu'un bateau sombre attende quelque part, Et que soit ton repos, comme d'une mouette, Égratigné par la grande aile du départ?...
230
EN GRAND SILENCE
En grand silence, à la fenêtre de Bougie, On voit la ville exquise et propre qui s'endort. La dernièrelueur d'une vitre rougie S'éteint parmi le clair de lune sur le port.
Nous sommes accoudés, pensifs, à la fenêtre, Enveloppés de bleue atmosphère qui luit. Les arbres ne font plus un mouvement, peut-être Par peur, en remuant, de déranger la nuit.
Et nous goûtons, sans en parler, la douce angoisse D'être oubliés etseuls au monde quelque part. Au fond d'un clair de lune heureux que rien ne froisse, Devant un port, lamer, l'inconnu, le départ...
— 231 —
AU PORT
fïft*
LE POÈME DE L'ESTUAIRE
on beau pays m'a dit quand je suis revenue : • Je te reconnais bien, visage qui souris. b t'avances, ce soir, longeant mon fleuve gris ont s'évase, devant la mer, l'ample avenue.
'oii viens-tu donc? Tes horizons glauques et bleus 3 voient rentrer bien tard, avec d'autres années ans l'âme, des soleils différents dans les yeux, iT ta bouche le sel des Méditerranées.
:'as-tu pas réchauffé ton visage et tes mains lia molle douceur des chaleurs étrangères, ntre tes doigts porté d'exotiques fougères jt marqué de tes pas les sables sans chemins ?
r
— 2nr> —
LA FIGURE DE PROU
N'as-tu pas rejeté tes premières bruines Avec la pomme de tes prés mouillés de mer, j
Pour mordre de tes dents neustriennes la chair Tragique, violente et rouge des sanguines?
Regarde maintenant : cette mer devant toi, Derrière toi ce fleuve, à tes côtés ces rives T'environnent sans bruit comme un reproche froi(| Se demandant pourquoi, ce soir, tu leur arrives.
7
Qu'as-tu fait du pays intérieur, celui Qui dans ton âme était l'image de ces choses Qu'as-tu donc respiré, quelles charnelles roses, Puisque, dans ton regard, ce feu sombre reluit?
Ici, le monde est demeuré couleur d'opale. Le sol devient la vase et la vase la mer. Le fleuve se fait mer, la mer se fait ciel paie. Tout s'épouse, se fond, se reflète et se perd,
r
Et dans cet infini troublé, sirène grise
Aux pathétiques yeux changeants, l'âme du Nord
Demeure à tout jamais ensevelie et prise.
Et, parmi ses lueurs écailleuses, se tord.
— 23G —
lu PORT
|u'as-tu fait de ton seul aïeul Hamlet, le prince conique, vêtu de deuil et de pâleur? on pays ne veut point qu'aucun autre l'évincé. }u'as-tu fait de Tliulé, qu'as-tu fait d'Elseneur?
lois ton passé venir à toi sur cette barque ]ouleur de feuille sèche, et debout au beaupré. Il traîne en replis noirs son manteau de monarque 5ur ton originel paysage navré.
Pour toi seule, frôlant mouettes et bouées, Par vases, par ciel pâle et par eau grise, il vient Sous l'envergure au vent des voiles secouées, Rapportant dans ses mains le cœur qui fut le lien.
Tout l'estuaire d'autrefois, couleur de pieuvre,
Te salue avec lui. Réponds à ce salut !
Que vas-tu dire, ô toi, jeune visage élu,
A ce silence, autour de ton front, mis en œuvre?
Et sans paroles, j'ai, dans le soir trouble et froid, Dit en pleurant d'obéissance et de tristesse : — « J'atteste, ô mon pays, d'un sanglot qui me blesse, Que je n'aime, n'aimais et n'aimerai que toi. »
— 237 —
DE RETOUR
Sur les quais de Rouen dont la masse s'allège De mâts, de flèches d'or et de peupliers droits,
Dans l'odeur du bois de Norvège
Marchaat sur nos pas d'autrefois,
Nous regardions avec des prunelles changées.
Car nous avions humé d'autres parfums plus forts.
Frôlé d'autres coques chargées
Et le désordre d'autres ports.
Nous sentions vivre en nous cette philosophie De revenir plus gaie avec des yeux meilleurs
Du fond de la géographie
Et des voyages vers ailleurs.
238
.L PO Ri"
!omprendra-t-on jamais la mémoire qui hante /être qui, lourd encor des roulements du flot,
Va d'une marche titubante
Avec un cœur de matelot?
\insi, l'esprit rêvant de choses nostalgiques jEt plein des souvenirs du loin comme d'un lest, Nous allions sous les cieux obliques Du nuageux mois d'août de l'Ouest.
t, revenue au port, loin du large où l'on tangue. Heureuse, nous riions de nous sentir chez nous Et de parler la rude langue Sarrasine au pays des roux.
K
— 239
TRACES
Je sens en moi mon cœur diversement racé Pour s'être laissé prendre entre tant de liens. Et cependant, du fond des voyages, je viens Rôder ce soir autour de mon premier passé.
Ce sont quelques maisons anciennes normandes Oii je remets, avec si triste persistance, Mes pas trop grands dans ceux de la petite enfance. 0 moi-même, à la fm, qu'est-ce que tu demandes?
Pourquoi dans tes jardins jaunis, rouges de baies, La rose froide et septembrale que tu cueilles Ne suffit-elle point, ouverte entre ses feuilles, A te redonner tout de tes premières haies?
— 240 —
jiU PORT
Vi tes demeures sont ainsi toujours pareilles, Comment l'enfance à tout jamais est-elle morte, Pelle qu'une fillette aux yeux trop grands, qu'emporte ^e mal d'un frêle cœur secret, gros de merveilles?
Rie dira-t-on pourquoi mes regards éblouis 5ont ouverts sur un souvenir jamais lassé ? îlien ne reviendra-t-il à moi de ce passé? I — 0 mon pays, hélas! j'ai le mal du pays...
-241 —
21
UN CHANT DE RETOUR
Honfleur, ma ville de naissance Que j'aime plus que de raison, Je te reviens de Thorizon Ayant mené loin mon enfance.
Je t'avais dans Tâme et la chair, Et si j'ai quitté ta jetée. Ce n'est qu'à tout jamais hantée Par ta grisaille sur la mer.
Ailleurs, il fait parfois bon vivre^ Mais toujours, ville des prés verts^ On est un peu ton marin ivre Qui tangue à travers l'univers ^
242
U l'ORT
Qui sait quels calmes, quelles rages On a vu loin de toi, Honfleur? Quels continents conleur detleur,
Et qui sait môme quels naufrages ?
*
Nul ne saura jamais jusqu'oii
On a pu conduire sa barque.
Mais vois-tu quand on naît monarque.
Monarque on reste jusqu'au bout.
24-3 —
DE HONFLEUR
Honfleur, ma ville, je te vois Du haut de ta colline, ô pluvieuse, ô grise, Entre les flots pressés de ta mer qui se brise Et le moutonnement terrien de tes bois.
Que de fois, devant d'autre villes, J'évoquai tes contours tout immatériels, Parmi l'Afrique fauve et ses blancheurs faciles. Te voici donc enfin devant mes yeux réels.
Ma cité, combien sont tes plages Tristes, ton estuaire évasif et navré ! Mais que sont gais et sains et riches tes herbages, Tes arbres lourds de fruits et d'automne doré!
I
— 244 —
AU PORT
Parmi tes clochers et tes phares Tu sens toujours le foin, la vase et le goudron, Et tes harques toujours tirent sur leurs amarres Et tes oiseaux de mer tournent toujours en rond
Le temps où l'on allait aux lies Persiste en toi, parmi quelque quartier noirci. Moi qui reviens de loin, ô ville entre les villes. Je sais bien que, tous les voyages, c'est ici.
Et sur ton profil de bitume Et d'opale, montant de l'amas sombre et clair. Je regarde s'étendre en biais vers la mer Cette grande fumée ou cette grande brume.
Phantasme traversé d'oiseaux. Cette fumée ou cette brume qui s'élève, N'est-ce pas, élancé de ma ville de rêve, Mon esprit qui s'épand sur la terre elles eaux.\..
— 245 —
2V
RETOUR A LA MER
Mer nocturne passée, ô toi que je retrouve, Autrefois, par les soirs, le long de tes galets, Sombre et seule, devers le destin je hélais, Et mon inquiétude errait comme une louve.
Salut! Jaime toujours, grisaille dans le vent, Ton lluxinduencé comme celui des femmes. Ont-ils, tes flots pareils à des millions d'âmes, Mémoire de mon front qui fonçait en avant?
Ta rétractilité de béte monte et baisse.
Ueconnais-tu mes yeux, toi qui prends, toi qui mens,
Toi qui roules, ainsi qu'une àme de Déesse,
Parmi tes eaux, l'obscur instinct des éléments?
— 246 —
pour
berces sous mon ciel tes caprices d'opale, -nme autrefois ; et moi, semblable au vaisseau fier i rentre au port, plus beau d'avoir couru la mer, m'en reviens ce soir plus royale et plus pâle.
mVn reviens pour repartir vers le bonheur vivre, de cingler droit au risque que j'aime... venir. Repartir. — 0 mer grise, ô moi-même, li-je jamais quittée, intime profondeur?
— 247 —
BERCEMENT
Les barques dorment dans ton port au bruit du larg
Gomme des oiseaux dans leur nid. Elles dorment ayant leurs mâts dans linfini, Autour d'elles leur ville et la mer grise en marge.
Autour de toi ta ville et la mer grise en marge, Tu dors aussi devant le natal infini.
Gomme un oiseau chaud dans son nid, Tu dors parmi le bruit des barques qu'on décharge.
Les barques, toi, tous les oiseaux sont dans leur ni^
A dormir, la tête sous l'aile... Dors! Ton âme-mouette est bien ici chez elle, Dans son port, et devant le natal infini. Dors! Ton âme-mouette est bien ici chez elle,
A dormir la tetc sous l'aile.
— 248
PREMIÈRE OCÏOBRALE
Une feuille rouge à l'oreille, A bicyclette nous voici Par les bonnes routes d'ici, Gomme autrefois, avec une âme autre et pareille.
Les marronniers sont déjà blonds. Nous nous sentons forte et vivace. Avec des ailes aux talons. Il pleut des beaux marrons vernis au vent qui passe.
Le long de la côte, la mer Est grise comme une crevette. La vie est bonne, fière et nette. -^ 0 destin! qu'est-il donc de si joyeux dans l'air?
— 249 —
DEUXIÈME OCTOBRALE
Je suis chez moi. Voici mes tableaux coutumiers. Je quitte mes marins, ce jour, pour mes fermiers.
Ma ville vieille est sur ma baie, Mais je vais vers la route, où, derrière la haie, On entendra quelqu'un gauler dans les pommiers.
Je suis chez moi. Je mène au pas une âme alerte Le long de chaque rue ou de chaque chemin. Je tiens, comme au fond de ma main, Mon beau pays qui sent la barque et Therbe verte. — Et c'est tout aujourd'hui, tout hier, tout demain,
•2:\o
TROISIÈME OGÏOBRALE
Ge soir, je n'ai besoin des femmes ni des hommes Pour que mon difficile cœur se sente bien. A. travers mon pays Octobre sent les pommes, Et, passionnément, je possède mon bien.
Je neveux rien déplus. La simple et bonne route Qui s'en va par les champs récoltés, le croissant Qui monte à Thorizon du rouge soir puissant Et quelques vieux pommiers tordus, me prenneiit toute,
— Je te mords, mon pays, à môme, ô pain doré ! «Ma soif boit la belle eau qui court dans ta vallée. Je sens toute mon âme ivre, heureuse, comblée^ Se rouler sur la terre oii je retournerai.
— 2bl -
EN FORÊT DE BROTHONNE
Nous aurons tant aimé notre grande Brothonne, Ses pins nerveux, si bruns, si rouges et si roux Qu'ils semblent revêtus d'une éternelle automne, Ses hêtres de lumière aux troncs lisses et doux.
Un grand frisson toujours a couru dans nos moelles
D'entrer dans l'odorante et verte obscurité
Où filtrent jusqu'au sol ces taches de clarté
Qui remuent dans la mousse ainsi que des étoiles.
Les rosaces du ciel pris entre les rameaux Et l'élan biaisé des branches principales Récitaient la prière inouïe et sans mots De la grande foret, mère des cathédrales.
— 2o2 -
pour
I, lorsque, insinuant et rouge, un soleil bas issait avec le soir à travers les hêtraies, le les troncs élancés craquaient comme des mâts, le les ombres barraient les chemins de leurs raies,
en souvent, égarés dans le silence vert {1 chuchotent l'histoire et les contes de fée, )us attendions, dans la bruyère ébouritlee, \ rencontrer Merlin ou le roi Dagobert...
253 —
SONNERIES DU SOIR
Quand l'invisible cor qui s'éteint et renaît, Déclarant la détresse immense de l'automne, Du fond de la forêt, au soir, tremble et détonne,
Qu'est-ce donc en nous qui s'étonne
Et qui pourtant se reconnaît ?
Quelle France ancienne en notre âme se lève?
Pourquoi sanglotons-nous quand passe cette voix ?
Pourquoi, pourquoi, la sonnerie, à travers bois. Gomme un pauvre cerf aux abois, Poursuit-elle ainsi noire rêve?...
— 2o4 —
II
Sur la rivière et sur le pré rmi quoi déjà traîne un septembre doré,
C'est l'hallali que sonne,
Des profondeurs de la Brothonne, Vers un cerf invisible un cor désespéré.
Pourquoi, quand nous étions sereine ne songeant à rien, ce soir, sur le talus,
La forêt souveraine,
A notre âme contemporaine, ^
rle-l-elle d'un temps dont nous ne sommes plus ?..
25;i
TRIOMPHE
Le cimetière où dort un peu de Normandie Repose, étroit et vert, dans la fin de l'été. Il nous plaît, visitant chaque pierre tiédie, Lire les noms des morts sans immortalité.
Le secret des défunts et de leur cliair changeante, Tout ce matériel et variable après Est sous l'herbe, les fleurs, les croix et l'es regrets. La terre est fourbe et cache bien ce qui la hante.
Sur un tertre envahi, le nom s'est eflacé. Nulle couronne, au vent qui passe, ne cliquette. Celui qui gît ici n'est plus rien qu'un squelette, Cadavre du cadavre et passé du passé...
AU PORT
— 0 fatale! 0 banale ! 0 toi l'insatiable A qui l'amour fournit tant d'êtres, tant de morts, Que ton abîme ouvert ne me soit redevable Que de mon seul fragile, étroit et tendre corps !
Je n'apporterai point l'offrande maternelle, La chair bumaine qui naîtrait de ma beauté A l'éternelle mort de la Vie éternelle. Je triomphe de toi par ma stérilité.
2o7 —
22^
CHEMIN CREUX
Le long du chemin creux, sous l'arche Du feuillage de droite et de gauche assemblé, La haute charrette de blé A l'air d'une meule qui marche.
Le chemin est toujours pareil, Humide, caillouteux, étroit, et d'un vert sombre. A travers branches, le soleil Pleut à grosses gouttes dans l'ombre.
Tout au milieu du blé pesant. Que je voudrais, sur la charrette cahotique, Dans un rêve de paysan Bercer mon âme énigmatique !
— 258 —
LE POÈME DU LAIT NORMAND
irissable lait de velours blanc qui sors . vaches de chez nous aux mamelles gonflées, (t issu de nos ciels mouillés, de nos vallées, nos herbages verts et de nos pommiers tors,
)ense en te buvant à ces bonnes nourrices, sor très précieux entre les bestiaux, f'Bvois les beaux yeux tranquilles des génisses, taches de rousseur sur le blanc de leur dos.
crois connaître en toi le goût des paysages Iversés de soleils couchants et de matins, bleus sous le duvet de prune des lointains parfumés de fleurs, de fruits et de fourrages,
— 259 —
AU PORT
Louange à toi, beau lait généreux qui jaillis ! En vérité je bois avec toi mon royaume Riche en clochers à jour et riche eu toits de chaun Louange ! car je bois avec toi mon pays,
Mon cher pays, le seul oii mon cœur se retrouve Chez lui, sans plus songera revendiquer rien, Mon cher pays, le seul oii je me sente bien Gomme un petit contre sa mère qui le couve.
Louange à toi, beau lait, ô mon lait maternel! Donne-moi la vigueur qui menait mes aînées. Puisses-tu me nourrir encor bien des années Avant l'ennui profond du repos éternel.
— 260 —
HYMNE
Qui nierait ta splendeur, ô province natale, Ma Normandie, amour fidèle de mes yeux. Morceau d'ouest français sur qui la mer s'étale, Terre civilisée au labour copieux ?
La dure cathédrale et le mol toit de chaume Depuis des siècles voient s'entasser tes moissons. Tes charrettes de blé, tes barques de poissons, Tes troupeaux, suffiraient à nourrir un royaume.
Le commerce tranquille et riche de tes ports, Ta ville capitale orgueilleuse et notoire, Toute ta vie a ses racines dans l'Histoire, Ainsi que dans ton sol plongent tes hêtres forts.
— 261 —
LA FIGURE DE PROL'E
La mer brusque et la Seine attendrie et pallide, Les pommiers dépassés de clochers triomphants, Tant d'aspects reflétés au fond de tes enfants Leur font l'âme qu'ils ont, brumeuse mais solide.
Pareils à leur pays aujourd'hui comme hier, Il n'est un laboureur au fond des fermes grasses Qui d'être né Normand ne soit heureux et fier, Car les tiens sont racés entre toutes les races.
Louange à ton printemps d'aubépines en fleur, A ton été chargé de grains et de verdures, A ton automne jaune oii les pommes sont mûres, A ton hiver touffu de givre et de blancheur.
Douceur et force, en toi nulle saison méchante. Rien qu'air pur, prés féconds, beaux fruits, gras bestiaux? Noblescités debout au bord des belles eaux Et personnalité bonne qu'il faut qu'on chante.
Nous t'aimons î Qu'à jamais ton savoureux accent Vive, et tes arbres drus,' foncés sur tes ciels pâles, 0 mère riche en herbe et riche en cathédrales, 0 toi que, pour toujours, nous avons dans le sang !
— 262 —
AVE MARIA
A Notre-Dame de Grâce, de llonfleur
Revenue à votre chapelle si naïve Entre ses arbres et tout au-dessus du- flot, Où mon enfance écoutait la mer sur la rive A travers le vitrail trouble comme un hublot,
Notre-Dame, je vous invente une prière. Je vous rends hommage à genoux, comme je peux. Vous savez que jamais, à présent ou naguère. Je n'eus en moi la croyance de mes aïeux.
Sainte Marie, entre vos lys, vous êtes belle. iJe suis venue à vous d'un geste nonchalant, Aujourd'hui, sur mes petits pieds chaussés de blanc, Mes petits pieds de communiante nouvelle.
— 263 —
LA FIGL'llE DE PROLK
Quand j'étais une enfant je vous disais ave Sans y croire déjà, Notre-Dame de Grâce. Je n'y ai plus pensé depuis : mais voire face Me semble douce comme un visasre rêvé.
'&'
C'est pourquoi, ce matin, toute d'or, ô barbare, Souffre que, tendrement, j'ajoute mes saluts A ceux des pécheurs roux qui t'ont mise à la barre Des barques, dans le sel des voiles et chaluts.
Je voudrais bien toucher à tes deux belles joues Anciennes, qui sont deux fleurs de ton sang clair, Etoile des marins de chez moi, qui te joues Comme une mouette ivre au-dessus, de la mer.
Puisque les matelots ont joint leurs mains saumàtres, Brûlé tant d'historique et séculaire encens Pour toi, je veux qu'aussi tes regards tout-puissants Me voient, blanche, parmi les cierges idolâtres.
Protège-moi, qui suis d'ici, comme un bateau, Notre-Dame, à travers le voyage de vivre ! Et, s'il faut devant toi suspendre un ex-voto, Voici càlinement mon cœur que je te livre.
— 204 -~
DECLARATION
Moi qui viens des gens que tu parques
Entre ton port et ton clocher,
Qui pourra jamais arracher
Mon cœur de toi, ville des barques?
De jour et de nuit, combien j'aime Les voir gagner les horizons, A la fois oiseaux et poissons, Ces barques que le vent essaime !
Honlleur, ô ma ville, ô ma barque. Au pays froid, au pays chaud, Je porte dans l'âme la marque De tes voiles rudes : H. 0.
20o —
NOCTURNE
Nuit sur le port. Signaux et feux Ont défait leur collier de lueurs dans l'eau verte. Un clapotis, autour des paquebots inertes, Les endort dans l'oubli du jour aventureux.
Les grandes barques repliées Dansent un peu le long du bassin sombre et clair Et tirent en craquant sur leurs cordes liées, Gomme ne pouvant pas se calmer de la mer.
Repos des horizons barbares, Berceuse de douceur planant sur les bassins... Et pourtant, dans la nuit, les clignements des phares Signifient tout le large et ses mauvais desseins.
- 266 —
iU PORT
— Dis? Pourquoi ta tranquille eau verte Ion petit port, a-t-elle une blessure au cœur ? Pourquoi, pourquoi ta quiétude est-elle ouverte lur l'infini gonfle' de joie et de douleur ?
— 267 —
A UNE MOUETTE
Qui donc aurait souffert, pauvre mouette prise,
Ton grand essor capté ? Tu tremblaisdansmesmains, douce nientblancheetgrise
Toute chaude de liberté.
Esclave, je t'avais achetée au passage
A ces mauvais garçons, Et ce geste me plut d'aller jusqu'à la plage
Te rendre à tes quatre horizons.
Les plumes de ta tête étaient lisses et belles
Sous mon baiser fervent; Puis j'ouvris mes deux mains, tu ouvris tes deux ailef
Et partis libre dans le vent.
— 2G8 —
AU PORT
— Emporte sans savoir le baiser du poète
Au large inapaisé. C'était toute la mer, ô clière sœur mouette,
Que j'embrassais en ce baiser.
269 —
23^
DANS LE CHANTIER
Dans le chantier, nous irons voir si les -charpentes Des harques qu'on bâtit devant l'infini clair Sont prêtes à glisser bientôtJe long des pentes Qui doivent les mener pour toujours à la mer.
Nous aimons tant à contempler ces grosses côtes, Ces squelettes de bois, dont s'enllentles beaux flancs Pour la lutte future avec les vagues hautes. Par des jours et des nuits d'orages gris et blancs !
Qui peut prophétiser, ô bien peintes, ô neuves, Vous qui ne connaissez du large rien encor. Par quels ciels étoiles et par quelles épreuves Furibondes vous passerez avant la mort,
— 270 —
PORT
Avant la lamentable mort de cette épave Qui fut barque, et qui, maintenant, sur le côté, Etale à quelques pas sa charogne concave Devant ce même flot qui doit vous emporter...
— 271
LA FERME VIDE
Assise toute seule à l'angle du vieux mur De cette ferme ouverte et pour un moment vide, Je sentais le repos combler mon être avide, Car j'étais arrivée ici dans l'abri sûr.
Je songeais, écoutant l'égoutlement du cbaume Un peu mouillé de pluie et couronné d'iris. Aux rustiques seigneurs, les fermiers, dont la paum Large avait possédé ce bien de père en fils.
On entendait, du fond des vertes avenues, Crier les essieux des charrettes de foin. Et les choses autour de moi, pleines de soin, Restaient tièdes des mains qui les avaient tenues.
070
l
PORT
ans les coins, se mêlant aux pailles des fumiers, ,a charrue et la faulx et la herse et réclielle .uisaiènt; et Ton voyait les pommes aux pommiers, It les vaches porter leur quadruple mamelle.
.e pigeonnier vétusté était comme une tour Vu milieu de la grasse et luisante volaille, li le chien noir dormait, arrondi dans sa paille, In attendant le soir où tous sont de retour.
Vinsi, derrière ces carreaux voilés de vignes, avaient ici vécu, du maître aux serviteurs. Des générations travailleuses et dignes, uette ferme battait du coup rude des cœurs.
Dans le son enroué d'une lointaine cloche, Le seizième siècle avec l'heure y sonnait, Bénissant cette vie active et sans reproche .Que depuis bien des temps tout le monde connaît;
Et ma race étant là tout entière, chez elle. Moi, dans Tombre et dans l'or du chaume doux et haut, IJe me sentais pelotonnée et l'âme au chaud, Comme un poussiu heureux qu'on a remis sous l'aile.
— 273 —
II
De songer au bonheur qu'ils ont d'être chez eux Quand il y a ceux-là qui sont dans les Afriques Sur leur sol cuit au grand soleil comme les briques| Sans eau, qu'un peu, mourait dans les lauriers fiévreux
L'Afrique, le pays brûlé des vaches maigres, Le pays qui n'a pas de foins et pas de lait. Où vivent, dans l'horreur d'un labour incomplet. Les Arabes, mauvais paysans, et les nègres.
Ecoute, notre beau pays si chaud, si froid, Cœur des quatre saisons, ô province herbagère : L'Afrique, vigne esclave et moisson étrangère, Est le sol oii jamais personne n'est chez soi.
— 274 —
PORT
■tre terre, plains donc cette terre trahie, i qui vis de richesse et de tradition! n'est des deux côtés qu'insatisfaction : Europe est en exil, TArahie envahie.
C'est pourquoi, ferme d'aujourd'hui que nous aimons, )us qui venons de loin sur le bord de la route, itite, seule et grave, et sans que nul s'en doute, pus respirons ton bonheur calme à pleins poumons.
— â7b
DANS LE PORT
Côtes grises et mâts et lenteurs de fumées, Avec un peu de bleu qui traîne sur la mer.
Beau désordre marin de ces choses aimées Laissant dans notre esprit un rêve obscur et clair.
On va. Le jour qui meurt dans la brume s'abrège, C'est un hâtif couchant d'automme sur le port,
Où, fantôme hantant les bateaux de Norvège, L'âme d'Ibsen débarque avec les bois du Nord...
— 276 —
VIITASTION
Ton cimetière avec ses quelques croix debout M'attendait. Avec moi, quand j'ai poussé la porte, Le premier soir d'Octobre est entré d'un seul coup Assombrir ce coin d'herbe et d'humanité morte.
— Grand'mère,je m'avance; écoute-moi marcher. : Pour la première fois ta tomqe solitaire ' M'accueille, et je voudrais doucement me pencher
Gomme pour écouter ton cœur battre sous terre.
Je t'apporte autre chose et mieux que du chagrin. Je t'apporte le soir, l'automne commencée, Les chemins que j'ai pris pour venir, l'air marin, Tout le pays qui pèse à ma tête baissée.
— -rri —
24
LA FIGURE DE PROUE
Mon jeune âge. fleurit ta dernière maison. Ces larmes, dont le sel inattendu t'arrose, i
Me secouent sur ton tombeau neuf, comme la rose Fragile et pleine d'eau de l'arrière-saison.
Je touche avec terreur la terre qui t'étouffe. Ton corps de mère est donc ici, vieux et puissant, A n'engendrer plus rien que ces herbes en touffe, Après avoir créé la race de ton sang...
Mais je l'atteste ici : je suis de ton lignage. Ma bouche filiale, ô défunte, ô mon nom, Ne pouvant s'enfoncer jusqu'oii dort ton visage, Baise la croix debout sur toi, couchée en long.
9.^ A —
DIALOGUE
— Absente, te voici ? D'où viens-tu donc?
— De loin.
— Et qu'as-tu fait ?
— Je ne sais plus.
— Et qui t'amène ? ^ Toi, pays! ton odeur de goudron et de foin.
— Ne rapportes-tu rien ? Ni l'amour ni la haine ?
— Rien.
— Quel est ton trésor?
— L'amour qu'on a pour moi. -r- Tes yeux sont si changés ! Qu'as-tu vécu?
— La vie.
— Cœur glacé ! Quelle est donc aujourd'hui ton envie ? )u'altends-tu ?
— Le hasard.
— N'as-tu donc nul émoi ?
1 . — 279 —
LA FIGURE DE PROU
Si ! te revoir, ô mon pays !
— Pourquoi?
— Je t'aimd Qu'y a-t-il donc en moi qui te touche ?
— Moi-même
>80
AINSI SOIT-IL
2V
AINSI SOIT-IL
A /. C. M.
Je souris mainteiiant à mon rêve exaucé^ k cette destinée im^^révue et fatale Qui ramène de loin vers la côte natale Mon cœur qui s'y était, inalgré tout, fiancé.
Ainsi soit'il! Je vais vivre et mourir à l'aise Dans ce morceau du sol normand qui m' appartient , Contempler de longs ans, autour de moi, mon bien, A travers la clarté des vitres Louis seize.
En haut, c'est le seuil fier où s'inscrira mon nom. En bas, au bout des prés, cest la ferme et Pétable, Et le tout agencé comme en ce siècle aimable Qui mit la métairie auprès de Trianon.
283
LA FIGURE DE PR(»l
i
Ma maison est an cœur cVune noble avenue
Oh d'anciens tilleuls font un jour sombre et claii
Du fond de ma maison je pourrai voir la mer
Et la ville, écouter leur allée et venue.
Les corbeaux sur son toit chantaient (lies irae, Les ronces tétreignaient^ on la disait hantée. Pour quelle soit aussi par mon âme habitée, Moi, fantôme vivant, je la restaurerai.'
Des roses fleuriront le ciel, le long des rampes ; Des soupirs et des ris de jeunesse et d amour S'entendront. Ce sera comme sur les estampes De mon délicieux ancêtre Debucourt.
Les relents vigoureux qui montent des herbages
S' orneront d'un parfum de rose et de tilleul,
Et j'entendrai, bercée au fond de mon fauteuil,
Les bruits du port d'Honfleur qui parlent de vogages
Or, je repartirai! Mais que soit mon espoir Fait de pâle soleil, de verdure étoilée; Je veux toujours chérir, le long de mon allée. Après les jeux du jour, les tristesses du soir.
^INSI SOIT-IL
le veux le beau temps bleu^ forage couleur d'encre^ Toute la vie au creux des mêmes horizons. Que la succession de mes qnatre saisons S'accomplisse en ce lieu choisi : j'ai jeté r ancre!
Puissé-je désormais ne jamais oublier A travers Orients^ sables et cités blanches^ Mes tilleuls^ ma maison^ ma ferme^ et ce noyer Qui porte doucement ma ville entre ses branches,
Puissé-je n'aimer rien que mon domaine en fleur Et le vieux médaillon au-dessus de la porte. Le foyer où mon cime., enracinée et forte, Doit accomplir, jusqu'à la fin, tout son bonheur.
— 285
TABLE
•oème liminaire
PREMIEK ISLAM
LUX quittés 9
•rière marine. 11
îonl'rontation 13
lîimetières. — I IT)
! — H 16
égyptienne . 18
îrrement 20
""empête 21
jibation 23
Printemps d'Orient 24
)rangers 26
enseignement 27
irise 28
Réduction 29
îoir de Tunisie 31
>illage 32
^e Bain 33
s'uit 34
)ans les Jardins. — 1 35
— II ......... 37
— III 38
vlémoire 39
Conquête 40
3ercement pour ma Sieste 42
soudanais 44
L'Été 45
289 —
25
TAB
Cigarette dorée. . Fumerie d'été. — I . — II
Sieste
Utique
Passants
Malaria. — l. . . .
— II . . .
Ramadan
PAROLES SUR CARTHAGE
Orientation. . . . Soir punique . . . Carthage est là, . Les beaux pigeons Coquelicots. . . . Avertissement . .
Lune
Delenda est. . . .
BARBARESQUES
Au Palais du frère du Dey . .
Réminiscence
Amertume
Sirène
Soirs d'Alger
Rêvant d'Alger
Paons d'Alger
Conteur arabe
A la louange des Ports de mer
— 290 —
\BLE
EN KROUMIRIE
remière nuit '. 91
nthousiasme 93
ul rement 95
eule en Forêt 96
loge de mon cheval * 97
encontre 99
[inute 101
[ornent nocturne 102
econde 103
répuscuiaire 104
iéveils. — 1, Village 106
. — TT, Montagne 107
u Pas 108
lavalier taciturne 110
locturne 112
iouge d'Automne 113
•lénitude. 114
loin du feu ,. . . . 116
effusion 118
jQ. rivière sauvage 119
Retours 120
(arrachement 121
)ébandade 122
^uée 123
Révélation 125
DE FRANCE
Retour dépaysé. — 1 131
— II 133
D'une fenêtre sur la Seine. — 1 135
— II 137
— m 138
— 291 —
TABLEf
Premier salut 140j'
Angélus IH
Angoisse : . 142
Rocking chair 143''
A Port-Royal 144*
Invocation 145'
Litanies de Notre-Dame 147'
Dans le ciel rosé loOf
Hésitation 151
Nostalgie 1 53
Prescience 154
En partance 155
LE DESERT
Ode au désert 161
Le cri des crapauds , 164
Figuig, entre tes tours 165
A travers l'air du sud ' 167
Soulèvement 168
Ode aux Juifs 169
Fantasia , 173
Ode Funèbre 175
EN MARGE
Profil 181
Pour un ami 183
Méditation sur un visage 185
Fourneau économique . 187
Musique. — I 188
— II 189
— 292 —
ABLE
'rois voix de ce Temps. — I. Voix des Rois 191
— il, Voix du Rêve. 193
— 111, Voix du Peuple 196
.ucidilé 198
LFcliange 199
Présence 201
n memoriam . 204
ieilleur plaisir 206
^our beaucoup 208
POÈMES ORANAIS ET KABYLES
Vuit sur la mer 211
Tourment 212
Visages 214
'% Tlemcen 215
/VDjidjelli 216
Complicité 217
Marine du matin. . 218
Missive ' 219
Amour 221
Mansouria 223
Passionnément 225
D'une fenêtre sur la rade. — I, Envol 228
— Il, Élan 229
— III, Veillée 230
En grand silence 231
AU PORT
Le Poème de l'Estuaire 235
De retour 238
Traces 240
Un chant de retour 242
293 —
TABLE
De Honfleur 244
Retour à la mer 246
Bercement 248
Première octobrale 249 j
Deuxième — 250
Troisième — 251
En forêt de Brothonne 252 1
Sonneries du soir. — 1 254
— II 255
Triomphe , 256
Chemin creux 258'
Le poème du lait normand 259
Hymne • 261
Ave Maria 263'
Déclaration , . . • 265
Nocturne 266
A une mouette 268
Dans le chantier 270
La ferme vide. — 1 272'
— II 274;
Dans le port 276
Visitation 277'
Dialogue 279
AINSI SOIT-IL
Ainsi soit-il 283
— 294 —
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TOURS. — IMPRIMERIE DESLIS FRERES.
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